1.6.2016
2.11.2015
Marche anti-impériale à Chamalières contre le franc CFA, le 31 octobre 2015
Collectif panafricain
Le franc CFA… franc des Colonies Françaises d’Afrique
« Vous savez, cela suffit comme cela avec vos nègres. Vous me gagnez à la main, alors on ne voit plus qu’eux : il y a des nègres à l’Élysée tous les jours, vous me les faites recevoir, vous me les faites inviter à déjeuner. Je suis entouré de nègres, ici. […] Et puis tout cela n’a aucune espèce d’intérêt ! Foutez-moi la paix avec vos nègres ; je ne veux plus en voir d’ici deux mois, vous entendez ? Plus une audience avant deux mois. Ce n’est pas tellement en raison du temps que cela me prend, bien que ce soit déjà fort ennuyeux, mais cela fait très mauvais effet à l’extérieur : on ne voit que des nègres, tous les jours, à l’Élysée. Et puis je vous assure que c’est sans intérêt. «
(Entretiens avec Jacques Foccart, 8 novembre 1968. Cité dans ses Mémoires, tome 2.
Le Général en mai. Journal de l’Élysée. 1968-1969, éd. Fayard/Jeune Afrique)
« Aujourd’hui on est colonisé et on ment au Peuple en disant qu’on est libre »
(Léopold Sédar Senghor. Jeune Afrique du 7 juillet 1977)
La monnaie CFA : une longue histoire entre Maître et Esclave
Rappelons certains faits historiques antérieurs à l’existence du franc CFA : le 1er janvier 1804, après treize ans d’une guerre sans merci, Saint-Domingue, le fleuron des colonies françaises de l’époque, devient indépendant sous le nom d’Haïti. La réaction de la métropole ne se fait pas attendre : elle impose un embargo à la jeune nation. C’est que l’ancienne colonie faisait vivre un Français sur huit. Après des années de tractations, en 1825, Haïti se voit obligé de verser à la France de Charles X la somme de 150 millions de francs lourds «destinés à dédommager les anciens colons». En échange, en fait, de la reconnaissance de son indépendance durement acquise. Le versement de cette somme est en outre assorti d’un accord d’exclusivité en faveur des produits français qui entrent désormais en Haïti sans droits de douane. La somme est empruntée à une filiale de banque française, la première et la seule du pays jusqu’au début du XXe siècle.
Pour rembourser l’emprunt ainsi contracté, l’état haïtien a eu recours pendant plus d’un siècle à la levée de lourds impôts sur la paysannerie. En 1942, le gouvernement d’Elie Lescot a même lancé un appel à souscription national pour réunir ce qui devait être la dernière tranche du remboursement jusqu’auprès des élèves du primaire. La dette ne sera définitivement soldée, remboursée au dernier sou, qu’en 1972. Voilà les faits.
Qu’est-ce que le franc CFA ?
Pendant son occupation par l’Allemagne, la France a été victime du nazisme monétaire. L’Ambassadeur plénipotentiaire allemand HEMMEN, nommé à Paris sous l’autorité du Ministre de l’économie Hermann Göring, annonce à Wiesbaden le 9 mai 1941, l’accord qu’il a obtenu et qui autorise l’Allemagne à installer ses propres commissaires à la Banque de France ainsi qu’à tous les postes stratégiques financiers du pays français vassalisé :
« L’amiral Darlan…avait approuvé l’établissement des commissaires (allemands nazis) à la Banque de France, aux devises et au commerce extérieur et l’institution d’un contrôle douanier aux frontières »1.
Dès sa libération en 1945, la France applique aux Africains ce même nazisme monétaire qu’elle a perfectionné et qui est lisible aussi bien dans les institutions que dans les quatre principes de la zone franc CFA dont les mécanismes de fonctionnement appauvrissent structurellement les Pays africains utilisateurs du franc CFA.
En effet, dès qu’elle a retrouvé la liberté, la France a été doublement inspirée par son ex-occupant allemand.
Elle a d’abord créé en 1945 une monnaie militaire appelée le franc Cfa qui lui a permis de s’attribuer ex-nihilo toutes les devises des 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA au nom de l’alimentation prioritaire des comptes d’opérations ouverts dans son propre Trésor Public.
Ensuite, la même France a fait signer en 1963 aux 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA des accords néocoloniaux de coopération commerciale (accords de Yaoundé, de Lomé et de Cotonou … ). Grâce à ces accords léonins, la France a pu importer massivement les matières premières des 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA sans dépenser une seule devise.
Le nazisme monétaire repose essentiellement sur la dévaluation de la monnaie du pays conquis, l’invention des monnaies coloniales, la libre transférabilité des capitaux des Etats colonisés vers les pays vainqueurs et les comptes d’opérations.
A ce jour, le franc CFA est une monnaie sans aucune valeur d’échange sur le plan du commerce international. Ce n’est pas une devise.
1 Pierre Arnoult, Les finances de la France et l’occupation allemande, Page 50, Edition PUF, 1951
Les quatre principes de la zone Franc sont d’inspiration nazie.
Les 4 grands principes du pillage par la monnaie CFA
-
La libre convertibilité des francs cfa en euros
La convertibilité du franc CFA « avec le franc français est illimitée».
Depuis la création effective en 1999 de la devise européenne, ce même principe de libre convertibilité peut être libellé de la manière suivante : La convertibilité du franc CFA avec l’euro est illimitée. Il s’agit d’une véritable escroquerie. Les limites structurelles de ce principe sont multiples dont ci-après quelques-unes seulement.
1 – La libre convertibilité est un argument spécieux dont se sert la France pour s’approprier les devises africaines contre remise de la fausse monnaie coloniale qu’est le Franc CFA. Car les 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA (les 15 Pays de la Zone Franc) donnent 100% avant 1973 et maintenant 65% de leurs devises à la France. A ce jour l’Etat français peut exiger jusqu’à 85% au gré de ses désidératas.
Dans la réalité, la France applique aux Africains ce principe tiré du nazisme monétaire que décrit l’historien et économiste français René SEDILLOT quand son pays était sous occupation allemande.
2 – Il n’y a pas de libre convertibilité entre les francs CFA émis par la BCEAO et la BEAC afin de rendre difficile le commerce afro-africain au profit de la France en particulier et de l’Europe en général.
3 – La France est le premier apporteur des investissements directs étrangers (les IDE) au Maroc, en Algérie et en Tunisie alors que ces trois pays ont quitté la zone franc pour battre leurs monnaies respectives. Cela veut dire concrètement que la garantie française de convertir les francs Cfa hier en francs français et aujourd’hui en euros n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais un facteur d’attraction des investissements directs étrangers (IDE) dans les 15 PAYS AFRICAINES DE LA ZONE CFA.
4 – Ce principe est une justification fallacieuse statutaire du contrôle effectif des banques centrales et des économies africaines par la France. En effet, par exemple « la Banque des Etats de l’Afrique Centrale est un établissement multinational africain, à la gestion et au contrôle duquel participe la France en contrepartie de la garantie qu’elle apporte à sa monnaie »1.
5 – La garantie française de convertibilité fait du franc CFA est un outil au service de l’impérialisme de la France en Afrique. Car les pays d’outre-mer sont maintenus en captivité pour « procurer les avantages politiques et stratégiques »2 à la France. Le franc CFA s’affirme comme l’outil permettant à la France d’entretenir son « rayonnement » et son « influence… en Afrique »3.
-
La fixité des parités entre le franc cfa et l’euro
« La parité entre le franc CFA et le franc français est fixe »4.Depuis le 1er janvier 1999, avec la disparition des monnaies nationales européennes au profit de l’Euro, le même principe sus exposé peut s’énoncer de la manière suivante : « La parité entre le Franc CFA et l’Euro est fixe ». Les conséquences de ce principe sont négatives pour les 15 pays d’Afrique de la Zone CFA.
1 – Ce principe est un système de pillage méthodique des richesses africaines à travers l’application scientifique du nazisme monétaire que le Français René SEDILLOT présente comme une arme redoutable d’expropriation et d’asservissement des Français vaincus par les Allemands.
2 – Les 15 pays d’Afrique de la Zone CFA sont installés dans une rigueur monétaire suicidaire et sans fin pour maintenir en vie la zone franc. La préservation de la parité et de la fixité du taux de change des monnaies africaines, hier avec le franc, aujourd’hui avec l’euro, impose que les politiques d’assainissement des finances publiques mises en œuvre (plans d’ajustement structurels, fermetures des services publics dont les écoles et les hôpitaux, les licenciements des fonctionnaires) dans la plupart des pays malgré les difficultés soient poursuivies.
3 – Le détournement des 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA se fait au profit de l’Europe et au détriment de leur ouverture sur le reste du monde
4 – Il ya une impossibilité pour les Africains de manipuler souverainement en leur faveur le taux de change.
5 – On assiste à une autonomisation ou à une augmentation mécanique en toute autonomie de la dette extérieure des PAZ F lorsque l’euro est plus faible que le dollar américain.
6 – Quand l’euro s’apprécie par rapport au dollar, s’observe la surévaluation du franc CFA avec les effets nocifs suivants pour les 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA :
– Perte de compétitivité des produits des Africains et perte des parts de marchés extérieurs par les 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA.
– Pertes financières énormes pendant les conversions de leurs devises en euros
– Creusement de leurs déficits de la balance des paiements,
– Justification économique des dévaluations répétitives ou en séries du F CFA rattaché à l’euro devenu robuste grâce à l’affaiblissement du dollar décidé par les Américains dans leurs intérêts légitimes.
-
La libre transférabilité des capitaux des 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA vers la France
« Les transferts de fonds entre les Etats membres et la France sont libres »5
Ce principe génère pour les 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA des conséquences nuisibles à leur véritable développement :
1 – Ce principe favorise la fuite des capitaux financiers indispensables à la reconstruction des pays africains.
2 – Les Banques Centrales africaines gaspillent leurs réserves de change dans le rachat de leur propre monnaie. Par exemple, « pour les six premiers mois de 1993, les rachats par la BCEAO des billets de son émission se sont élevés à 162,1 milliards contre 106 milliards un an plus tôt. »6
3 – La libre transférabilité s’oppose de fait à la formation de l’épargne nationale et encourage le recourt à l’emprunt extérieur dont le remboursement contraint les populations à supporter des souffrances dont on veut faire l’économie.
-
La centralisation des changes ou les comptes d’opérations
Les comptes d’opérations ont une origine nazie et ont un mécanisme de fonctionnement qui a des conséquences très lourdes sur les Africains.
Les inconvénients des comptes d’opérations sont essentiellement d’ordre financier, économique, social et politique. Le préjudice financier est énorme :
-
Les Africains financent l’économie française à leur propre détriment.
-
Le Trésor Public Français utilise les capitaux africains pour combler ses propres déficits.
-
Le remplissage prioritaire des comptes d’opérations se fait contre le développement des Africains
-
La France emprunte les capitaux africains détenus sous forme d’obligations
-
Politique de rigueur budgétaire et l’austérité économique sans fin imposées aux 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA par la France
-
La gestion des comptes d’opérations infantilise et déresponsabilise les Africains.
-
La France spécule en bourse avec les capitaux des Africains
-
La France utilise les intérêts des placements pour endetter les 15 PAYS AFRICAINS DE LA ZONE CFA.
-
L’accaparement de l’or africain par la France :
La Banque de France a en dépôt plus de trois mille tonnes d’or dont l’essentiel est en provenance des anciennes colonies françaises. Car « la couverture du Franc CFA est assurée par l’ensemble des devises et de l’or centralisé par le pool commun à la zone franc ».7 Dans le cadre de cette couverture ou de la garantie du Franc Cfa, les Banques centrales des Africains déposent périodiquement une partie de leurs stocks d’or en France.
Ce sont là 4 principes qui fondent le système du pillage de l’Afrique par l’Etat français. Ce ne sont que quelques hommes, avec la complicité silencieuse de l’assemblée nationale, qui complotent au profit d’une minorité et au détriment d’une majorité africaine.
D’autres mécanismes encore sont répréhensibles. Il serait ici trop long de tous les énumérer. Néanmoins on pensera aussi à la confiscation des devises des travailleurs africains de la diaspora qui, à chaque fois qu’ils émettent un mandat de transfert vers un des 15 pays africains de la zone CFA (avec Western Union, Money Gram, etc), en réalité ces devises partent remplir les comptes d’opération à Paris. En échange les familles en Afrique se voient recevoir cette monnaie de singes qu’est le franc CFA – une monnaie sans aucune valeur internationale et donc incapable de participer à la construction du pays.
Tout aussi grave, lorsque les Etats (hors la France) émettent des fonds d’aide au développement des 15 pays africains de la zone CFA, là encore les devises offertes partent constituer les comptes d’opération de Paris.
Ces comptes d’opération participent à réduire le déficit économique de la France qui est en réalité subventionnée depuis des dizaines d’années par les économies africaines.
Le système monétaire du franc CFA est unique en son genre, en permettant la fuite des capitaux des sociétés multinationales vers la France ; en cela, il représente un paradis fiscale en toute impunité.
Face à la paupérisation par le Franc CFA, que faut-il faire ?
Les solutions
Au préalable, l’abolition sans condition ici et maintenant du franc CFA et de toute l’administration que l’Etat français mit en place et entretient encore à ce jour.
Ensuite la création de la monnaie unique africaine et la transformation locale des matières premières, telles sont les meilleures solutions pour vaincre efficacement en très peu de temps le sous-développement socio-économique de l’Afrique.
-
La création de la Monnaie Unique Africaine (MUA)
A- Liquidation du franc cfa et la sortie du camp de concentration monétaire
La création de la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE doit libérer immédiatement du nazisme monétaire français les 15 pays Africains de la zone franc.
B-La garantie de la Monnaie Unique Africaine
La MONNAIE UNIQUE AFRICAINE doit être Garantie par la valeur synthétique de certaines matières premières minérales, minières, énergétiques et agricoles (comme le cacao par exemple) dont regorge l’Afrique. Les Africains pourront exiger d’être payés, de leurs échanges avec le reste du monde, dans leur propre monnaie commune qui prendra nécessairement de la valeur parce que sa demande sera plus forte que son offre.
C – Les Règles de conduite internes aux pays Africains utilisateurs de la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE
1- Le taux de transformation locale des matières premières à 100%
2- La nature et la composition des exportations africaines: des produits finis transformés sur le sol africain.
3- La garantie de la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE par la valeur synthétique des matières premières africaines
4- Le taux d’inflation inférieur à 6% (Au lieu de 3% en Europe)
5- L’encours de la dette extérieure : Dettes/PIB < 30%. (Contre 60% dans l’union européenne)
6- Le déficit public : Déficit public/ PIB < 1,5 % (contre 3% du PIB des pays membres de l’Union Européenne)
7- Le taux de pression fiscale : TPO < 20% contre 44,2% en France en 2006
8- La démocratie comme outil de gestion rationnelle des biens publics
D- La création de la Banque centrale africaine
Une seule et unique Banque Centrale Africaine (BCA) destinée à loger la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE doit être créée. Cette BCA mettra fin à la balkanisation monétaire et à l’atomisation ridicule des Banques Centrales Africaines. En effet, il y a 40 banques centrales africaines qui gèrent annuellement chacune en moyenne un PIB estimé à 27 milliards de dollars .Cela veut dire que si le modèle africain devrait être recopié par les pays ou régions, on aurait par exemple 488 monnaies et banques centrales différentes8 aux Etats-Unis où il n’y a qu’une seule. La même observation est valable pour la zone euro, le japon, la Chine , la Russie et l’Inde où l’on aurait respectivement 393, 161, 97, 36 et 34 monnaies et banque centrales différentes pour chacune de ces entités considérées dont le choix de l’unité monétaire doit inspirer favorablement l’Afrique.
-
Constitutionaliser la transformation locale de toutes les matières premières africaines
La transformation locale des matières premières est la véritable solution aux différents sérieux problèmes socio-économiques du continent noir. Par exemple, si la République de côte d’Ivoire transforme en poudre toute sa production annuelle de café et de cacao, elle pourrait non seulement éteindre en moins d’un an toutes ses dettes, mais elle aurait également les moyens financiers consistants pour nourrir décemment toutes les populations de l’Afrique subsaharienne. Au lieu de cela, le pays continue actuellement de vouloir s’endetter auprès des institutions bancaires internationales pour construire routes et ponts.
Conclusion
La M.U.A doit être créée par l’Union Africaine en urgence pour libérer immédiatement du nazisme monétaire français les 15 pays Africains de la zone Franc.
La garantie de la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE peut être assise sur la valeur synthétique des matières premières stratégiques dont regorge le continent.
S’impose la constitutionnalisation de la transformation en Afrique de toutes les matières premières afin de permettre aux Africains de vaincre efficacement et très rapidement la pauvreté grâce à leur enrichissement dynamique des valeurs ajoutées générées par les produits finis fabriqués localement et vendus tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du continent noir.
Avec ces produits finis fabriqués en Afrique, s’accélérera le commerce afro-africain qui demeure la véritable solution au sous-développement du continent face au protectionnisme des pays du Nord.
Par la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE, se fera la redynamisation des blocs économiques africains exposés à la rude concurrence des économies du monde qui se régionalisent et se continentalisent
S’impose la création de solides sociétés d’Etat dont celles des industries alimentaires pour nourrir décemment la population africaine qui avoisine les deux milliards en 2050.
Il y a donc urgence à créer la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE pour mettre véritablement les Africains au travail, produire leur propre nourriture et acquérir la sécurité alimentaire.
L’Afrique doit se donner les moyens objectifs d’éliminer son nouveau partage par l’Europe et l’Asie.
Saisir les opportunités qu’offre la crise financière et économique mondialisée pour reconstruire l’Afrique.
La MONNAIE UNIQUE AFRICAINE sera aussi un gage de sécurité pour les peuples africains.
La MONNAIE UNIQUE AFRICAINE doit traduire à l’échelle internationale l’existence de l’Afrique comme le font le dollar, l’euro et le yen qui évoquent respectivement dans l’inconscient collectif les Etats-Unis d’Amérique, l’Europe et le japon.
L’assujettissement des pays A.C.P. à l’Europe par les Accords de Yaoundé et de Cotonou n’a pu réaliser la moindre petite parcelle de l’industrialisation des économies africaines promise dans le Traité de Rome de 1957. Seule la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE doit industrialiser le continent noir, en stimulant le génie inventif des africains !
La MONNAIE UNIQUE AFRICAINE doit contribuer à la formation rapide des ETATS-UNIS d’Afrique
Elle permettra aux Etats africains d’économiser les sommes importantes qu’ils utilisent pour soutenir individuellement leurs différentes monnaies nationales. Car celles -ci auront été remplacées par la nouvelle MONNAIE UNIQUE AFRICAINE.
Avec la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE, seront éliminés les risques de pertes de changes qui accompagnent les opérations de conversions des monnaies les unes dans les autres.
Seront éliminées sur le continent noir les dévaluations anarchiques des monnaies nationales grâce à l’usage de la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE
Monnaie de facturation et de règlement des opérations, la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE permettra la transparence des prix des produits et une meilleure information des consommateurs. Ceux-ci seront les grands bénéficiaires de la concurrence et de la compétition résultante, entre les entreprises implantées sur le sol africain. La MONNAIE UNIQUE AFRICAINE donnera ainsi un coup de fouet supplémentaire aux activités commerciales, au grand bonheur de l’emploi. Elle apparaîtra comme un facteur structurel de relance économique.
En définitive, la création de la MONNAIE UNIQUE AFRICAINE garantie par la valeur synthétique des matières premières stratégiques africaines et la constitutionnalisation de la transformation locale de toutes les matières premières du continent, telles sont les seules véritables solutions capables de vaincre efficacement en très peu de temps le sous-développement socio-économique de l’Afrique !
1 Article 7 de la Convention de Coopération Monétaire entre les Etats membres de la BEAC et la France, signée à Libreville (Gabon) le 13 mars 1973
2 L’Ambassadeur français BREGBER, ancien représentant permanent auprès des communautés Européennes, « Une affaire avant tout politique », dans Géopolitique n° 53 P. 82.
3 Ibid
4 Selon l’Article 11 de la Convention de coopération monétaire entre les Etats membres de la BEAC et la France Le même principe s’énonce dans l’article 2 de l’Accord de coopération entre la France et les membres de l’U.M.O.A. de la manière suivante : « Les transactions entre le franc français et la monnaie de l’union s’effectueront à un cours fixé sur la base de la parité en vigueur ».
L’accord de coopération monétaire entre la France et la République fédérale islamique des Comores est basé sur les mêmes quatre principes régissant la coopération financière franco-africaine.
5 Selon l’article 4 alinéa 3 du traité constituant l’U.M.O.A., les Etats signataires s’engagent à respecter « la libre circulation des signes monétaires et la liberté des transferts entre les Etats de l’Union. ». L’article 6 de l’Accord de coopération franco-ouest africain précise que « la réglementation uniforme des relations financières extérieures des Etats de l’Union… sera maintenue en harmonie avec celle de la République Française.
« Cette harmonisation assurera, en particulier, la liberté des relations financières entre la France et les Etats de l’Union
6 BCEAO, Direction centrale des Etudes et de la Prévision, 17 Août 1993. Pour la seule Côte d’Ivoire, dans la même période, les rachats des billets F CFA s’estimaient à « 48,6 milliards contre 30,6 milliards », un an plus tôt. (Ibid)
7 Bulletin de la BCEAC, n° 7 août-sept 1966 P. 488
8 13.162 de PIB/27 de PIB=488 Banques centrales théoriques
22.9.2015
Marche de bonne conscience… Ce n’est pas en fonction du thermomètre qu’il faut agir mais en s’attaquant aux causes de la maladie
« Vient un temps où le silence est trahison- Je n’ai pas peur des mots des gens violents, mais le silence des gens honnêtes. »
Martin Luther King
Au leitmotiv simpliciste : « On ne peut accueillir toute la misère du monde » Nous répondons : Cessons de la créer partout en Afrique et ailleurs ! A commencer par toutes ces guerres abominables et illégitimes.
Jamais les frontières de l’Europe n’ont vu autant de vagues de réfugiés que depuis la déstabilisation armée du continent africain et du Moyent Orient. Le 14 juillet 2008, Bashar Al Assad était l’invité d’honneur de l’Etat français, parmi d’autres invités tels que Ben Ali et Mouammar Kadhafi.
Par la suite, l’Etat français déclarait la guerre à Kadhafi entraînant la mise à sac de toute la Libye – un drame humain épouvantable. Devant les caméras, on a vu un pogrom organisé contre les noirs libyens et migrants africains qui a notamment fait 80 000 victimes. Seules les capitales africaines ont protesté. Une grande manifestation a rassemblé plus d’1 million de noirs américains de Harlem (voir pièce jointe). En France, silence total de toutes les organisations des droits de l’homme ! Ailleurs en Europe, pourtant des voix s’élèvent…
Nous nous souvenons, après l’assassinat de Kadhafi, un chef d’Etat pourtant souverain, notre camarade très gauchiste Olivier Besancenot appelait à envoyer des armes à ses camarades rebelles qui se battaient en Syrie (Source Canal+). Il y a vraiment de quoi se poser des questions quant au silence de notre société civile, à sa complaisance face à ces guerres compulsives et de déstabilisation des pays du Sud. On pense encore à la Côte d’Ivoire, au Mali, au lien ambigu avec Boko Haram.
En Centrafrique, des enfants orphelins de 9 à 11 ans ont été violés par des soldats français, en échange de biscuits et de chocolats. Absence quasi totale d’indignation de la part de la société civile. Où étaient alors les organisations féministes de France ?
La responsabilité de l’Etat français et de l’Union européenne est totale. Les guerres ont été préméditées et fomentées pour les intérêts économiques et pour la suprématie du bloc occidental. Il s’agit d’une imposture légitimée par un discours pseudo-démocratique, paternaliste et donneur de leçons. Les preuves ne manquent pas et sont mêmes largement diffusées. La paupérisation des Etats mis en guerre a été commanditée par nos Etats belliqueux. A quoi bon alors vouloir jouer les humanitaires alors que le désastre humain est planifié grossièrement ? La société civile française est enfermée depuis trop longtemps dans un aveuglement. Les leçons de l’Histoire, qui font tant la fierté de l’Etat et du peuple français, n’ont hélas à ce jour servi à rien. Notre humanité se portera mieux quand seront finis nos préjugés occidentaux à l’égard de l’étranger.
PS : Ouest France titrait en Décembre 2014 : ‘Syrie. Des victimes du conflit demandent réparation à Laurent Fabius’ : « Laurent Fabius s’est montré en pointe dans le dossier syrien, au côté de la rébellion à qui la France a livré des armes, et il est visé pour plusieurs déclarations publiques. Le chef de la diplomatie avait ainsi estimé, en août 2012, que « Bachar al-Assad ne mériterait pas d’être sur terre » et, en décembre 2012, que « le Front al-Nosra fait du bon boulot », alors même que cette organisation jihadiste syrienne venait d’être classée terroriste par les États-Unis. » A bon entendeur.
Collectif Panafricain
8.6.2015
Le Journal de l’Afrique 11
Télécharger le journal :
http://www.michelcollon.info/IMG/pdf/JDA_11_A.pdf
19.1.2015
Charlie Hebdo : chercher à comprendre pour éviter les pièges
Par Grégoire Lalieu
Source : Investig’Action : http://www.michelcollon.info/Charlie-Hebdo-chercher-a.html?lang=fr
Quel rapport entre la découverte du pétrole, le rire de Nasser, la guerre d’Algérie, la révolte des banlieues et l’attentat de Charlie Hebdo ? Aucun si l’on s’en tient au registre émotionnel et au discours sécuritaire qui ont fait suite à l’attaque du journal satirique. Pourtant, si l’on ne peut accepter que deux jeunes Français ayant sombré dans le fanatisme religieux assassinent des journalistes en plein Paris, il est nécessaire de s’interroger sur ce qui a rendu possible l’impensable. Cette réflexion nous amène nécessairement à remonter le mal jusqu’à ses racines pour analyser ce qui s’est passé tant au Moyen-Orient qu’en France ces dernières décennies. Cet article porte donc davantage sur ces deux éléments que sur l’attentat du 7 janvier. Un exercice indispensable à l’heure où le drame qui a ébranlé la France est ramené à la seule dimension de la liberté d’expression. Un exercice indispensable à l’heure où une partie de la classe politique, dans l’impossibilité d’interroger ses responsabilités, propose d’adopter un Patriot Act français pour nous protéger de la menace terroriste. Un appel lancé depuis une marche pour… la liberté d’expression !
L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité ; seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine ; seul l’amour le peut. (Martin Luther King)
Charlie Hebdo a fait rire. Charlie Hebdo a fait grincer des dents. Mercredi 7 janvier, Charlie Hebdo a, peut-être pour la première fois, fait pleurer. Deux individus lourdement armés ont pris d’assaut la rédaction du journal satirique laissant derrière eux douze morts. La nouvelle a giflé la France. Choqué, on a découvert sur les chaînes d’info en continu les premiers détails du drame. Et puis des noms sont tombés. Cabu. Wolinski. Charb. Morts au combat. On se souvient que Charlie Hebdo s’était engouffré sur un terrain miné en publiant, en 2005, des caricatures du Prophète Mohamed reprises d’un journal conservateur danois. On se souvient que depuis, les crayons de l’hebdomadaire satirique s’étaient donné à cœur joie de dézinguer l’islam comme il s’était toujours appliqué à désacraliser l’intouchable. Avec une adresse relativement appréciée. Une nuit de novembre 2011, la rédaction du journal était la cible de cocktails Molotov. Charb, directeur de publication, réagissait : « Je n’ai pas de gosses, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. C’est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux. »
Mercedi, Charb, Cabu et Wolinski sont morts pour des dessins. On pense que jamais on ne pourra digérer l’indigeste. On reste assommé devant sa télévision. Mais déjà, des réactions tombent à chaud. Au micro d’iTélé, le journaliste Serge Moati en appelle à « un combat national, français, contre l’islamisme » avant d’ajouter que « l’islam ne doit pas être caractérisé par ces salauds-là. » Dans une allocution aux allures présidentielles, Nicolas Sarkozy déclare : « Notre démocratie est attaquée. Nous devons la défendre sans faiblesse. La fermeté absolue est la seule réponse possible. » Il ajoute en fin de discours : « J’appelle tous les Français à refuser la tentation de l’amalgame et à présenter un front uni face au terrorisme, à la barbarie et aux assassins. » Venant du président d’un parti qui fait les yeux doux à l’électorat du FN, venant d’un ancien président de la République qui se plaignait du trop grand nombre de musulmans en Europe et qui voyait dans l’histoire des caricatures le signe avant-coureur du choc des civilisations , les précautions de Sarkozy sur les amalgames sonnent aussi justes que la tirade d’un beauf au café du commerce qui débute par l’inévitable : « Je ne suis pas raciste, mais les Noirs et les Arabes… ». Enfin, il y a la réaction de Philippe Val au micro de France Info . L’ancien directeur de Charlie Hebdo a relevé que « quelque chose » se répandait en France et parmi les musulmans.
Alors, malgré la gueule de bois que nous laissent les portraits des dessinateurs de Charlie dans la rubrique nécrologique, on se dit qu’on doit réagir nous aussi. Réagir pour comprendre ce « quelque chose » qui se répand en France. Réagir parce qu’on n’accepte pas que l’on puisse mourir pour des dessins. Réagir parce que personne ne souhaite que cela se reproduise. Comment ? Difficile de poster des policiers devant toutes les rédactions. Et pourquoi, encore, demander aux musulmans de se désolidariser de cet acte terroriste comme l’a fait la campagne Not in my Name ? Comme si, comme le relevait Rue89, les musulmans étaient, par défaut, solidaires des actes terroristes : « Nous devrions interroger la petite satisfaction à voir un imam affirmer qu’il condamne l’égorgement d’un otage, comme si nous étions rassurés de constater qu’il y avait de “bons musulmans”, comme s’il fallait que les musulmans prouvent qu’ils peuvent être bons, qu’ils prouvent qu’il y a un islam ouvert, tolérant. »
Comment les autorités françaises entendent-elles dès lors, s’attaquer au problème du fanatisme ? Comme elles règlent celui de la délinquance, en installant des caméras de surveillance partout sans toucher au problème des inégalités sociales ? Pas très efficace… Le drame qui a frappé Charlie Hebdo nécessite qu’on analyse le mal à sa racine. Et cette analyse nous conduit vers deux phénomènes à considérer parallèlement : la politique menée par l’Occident au Moyen-Orient depuis la découverte du pétrole ainsi que la montée de l’islamophobie.
L’islamisme réactionnaire contre le nationalisme arabe
Il fut un temps où en Egypte, le président s’esclaffait à l’idée d’obliger les femmes à porter le voile. C’était du temps de Nasser. C’était l’âge d’or du nationalisme arabe. Un courant laïc et progressiste que l’Occident, emmené par les Etats-Unis, a combattu en s’appuyant sur l’islamisme réactionnaire d’Arabie saoudite. Mohamed Hassan nous l’explique dans le livre Jihad made in USA : « La découverte de gigantesques gisements de pétrole a fait du Moyen-Orient une région extrêmement stratégique pour les impérialistes. Or, avec le développement du nationalisme, des pays arabes manifestaient le désir de prendre leur destin en main et de disposer souverainement de leurs richesses. Cela aurait été une catastrophe pour les Occidentaux qui non seulement auraient été privés de pétrole bon marché, mais qui en plus auraient dû faire face à un puissant rival si le panarabisme de Nasser avait porté ses fruits. Le dirigeant égyptien souhaitait en effet que les pays de la région, qui avaient été découpés arbitrairement par les puissances coloniales, se réunissent à nouveau autour de leur identité arabe. De leur côté, les islamistes réactionnaires voyaient d’un très mauvais œil l’émergence du nationalisme arabe. Ce courant était tout d’abord porteur de modernité. De plus, bien qu’il ait reconnu l’islam comme un élément essentiel de la culture arabe, Nasser avait fait de la laïcité une ligne directrice en matière de gestion politique. Le nationalisme arabe était donc aux antipodes de ce que les réactionnaires du Golfe appliquaient chez eux. »
Dans La stratégie du chaos, Mohamed Hassan nous explique comment l’islam politique des Saoud a été érigé en modèle contre le nationalisme de Nasser : « Pour contrer l’influence de l’Union soviétique, Eisenhower mit au point une stratégie consistant à apporter un soutien financier et militaire à tout pays du Moyen-Orient qui serait “menacé par le communisme”. Mais la doctrine Eisenhower fut un échec. D’une part, l’envoi de grosses sommes d’argent vers des pays riches en pétrole soulevait beaucoup de questions aux Etats-Unis. D’autre part, les pays arabes qui auraient accepté cette aide se seraient ouvertement affichés contre l’Egypte nassérienne qui avait encore le vent en poupe à l’époque auprès des populations de la région. Alors, Washington élabora une autre stratégie. On allait employer l’islam comme une arme politique pour contrer le nationalisme arabe laïque de Nasser. (…)L’Arabie saoudite créa la Ligue islamique mondiale, une organisation ultraconservatrice inspirée par l’extrémisme wahhabite pour contrer l’influence de Nasser. La Ligue déclarait par exemple que le nationalisme était le pire ennemi des Arabes. Dans un premier temps, la popularité de Nasser étant tellement grande, cet islam politique ne rencontra pas un grand succès. Mais la défaite du président égyptien dans la guerre des Six Jours changea la donne. Après ce conflit et la perte de prestige du nassérisme, l’alternative offerte par Fayçal reçut un plus grand soutien populaire et l’Arabie saoudite devint un acteur-clé du Moyen-Orient. »
Mohamed Hassan nous explique également comment l’Egypte rentra dans le droit chemin après la mort de Nasser. Les Etats-Unis et l’Arabie saoudite achetèrent le nouveau président égyptien, Anouar al-Sadate, pour qu’il s’écarte du nationalisme arabe. Cela impliquait de faire la paix avec Israël et d’ouvrir l’économie aux multinationales. Des décisions qui n’enchantaient pas le peuple égyptien. Le prestige de Nasser était encore fort et voilà que Sadate entendait faire tout l’inverse de son prédécesseur ! Pour liquider l’héritage du nassérisme, le président égyptien décida donc de s’appuyer sur l’islamisation de la société égyptienne. Les Frères musulmans, violemment réprimés par Nasser, furent ainsi autorisés à revenir en Egypte. Alors que la politique d’ouverture économique menée par Sadate plongeait de nombreux Égyptiens dans la pauvreté, les Frères développèrent une base sociale importante en subvenant aux besoins des plus démunis à travers un vaste réseau de charité. Ils étaient pour cela aidés par les riches monarchies du Golfe.
Voilà comment une forme réactionnaire de l’islamisme s’est durablement installée au Moyen-Orient. Encore faut-il préciser, n’en déplaise à Serge Moati, que l’islamisme recouvre des notions bien diverses. Galvaudé par les médias occidentaux, le terme est devenu un concept fourre-tout. Mohamed Hassan distingue pourtant cinq courants parfois contradictoires. Quelle différence en effet entre l’islam réactionnaire des Saoud et celui d’autres mouvements inspirés par la théologie de la libération par exemple ! Et comment ranger dans un même panier des islamistes comme Abdelkader ou Omar al-Mokhtar qui combattirent les puissances coloniales et d’autres comme Mohamed Morsi qui, à la tête de l’Egypte, avaient déjà entrepris de se soumettre aux diktats du FMI ? La nuance reste de mise même lorsqu’on aborde un mouvement tel que les Frères musulmans. Il fut fondé pour combattre la domination britannique en Egypte. La direction des Frères s’est depuis ralliée aux intérêts des puissances néocoloniales. Cette vaste organisation n’en reste pas moins traversée par différentes tendances, comme tout parti politique. Certaines, plus progressistes, voudraient faire évoluer les Frères musulmans. L’islamisme n’est donc pas un gros mot. Mais il nous montre que, comme toute idéologie, il fait l’objet d’une lutte entre différents courants. Et malheureusement, en grande partie pour les raisons que nous venons d’évoquer, ce sont actuellement les plus réactionnaires qui dominent.
Le jihad en Syrie, pas à Paris
L’impact de la politique menée par l’Occident au Moyen-Orient ne s’arrête pas là. Parmi les différents courants que recouvre l’islamisme, Mohamed Hassan distingue également la mouvance jihadiste et rappelle que « le jihad est aussi un combat que le musulman doit avant tout mener contre lui-même pour faire ressortir ce qu’il y a de meilleur en lui. Le jihad peut donc être quelque chose de très positif ! » Mais le jihad fait aussi référence à une lutte armée. Une lutte menée d’abord en Afghanistan contre les Soviétiques et avec l’aide de la CIA. Ben Laden était à l’époque un ami des Etats-Unis. Après les attentats du 11 septembre toutefois, la guerre contre le terrorisme lancée par Bush a quelque peu malmené le mouvement jihadiste. On pensait alors cette mouvance réduite à quelques rescapés tapis dans des grottes. L’ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, Alain Chouet, avait même déclaré devant le Sénat : « La Qaida est morte, sur le plan opérationnel, dans les trous à rats de Tora Bora en 2002 ».
Pourtant, depuis quelques années, les mouvements jihadistes semblent avoir repris du poil de la bête. Le plus célèbre d’entre eux aujourd’hui, Daesh, est même parvenu à créer un Etat à cheval sur l’Irak et la Syrie. Comment expliquer cette résurgence ? Différents facteurs entrent en compte comme nous l’explique Mohamed Hassan dans Jihad made in USA. L’invasion de l’Irak en 2003 tout d’abord. Après la chute de Saddam Hussein, les baathistes irakiens se sont organisés pour résister à l’occupation US. Mais, avec l’aide de l’Iran, les Etats-Unis ont mis en place un nouveau gouvernement. Trop chiite pour l’Arabie saoudite qui craignait de voir l’influence de Téhéran s’étendre dans la région. La monarchie a donc appuyé la création de groupes sunnites extrémistes en Irak. Parallèlement à cela, les Etats-Unis s’étaient lancés dans la « débaathification » de l’Irak, c’est-à-dire qu’ils avaient entrepris de démanteler totalement la structure laïque de l’Etat dirigé par Saddam Hussein. Ceci explique comment la résistance à l’occupation US a viré au conflit confessionnel opposant sunnites et chiites. Ceci explique aussi comment de nouveaux mouvements jihadistes sont apparus après la mort opérationnelle d’Al Qaïda.
Ensuite, la guerre en Libye a également permis à d’anciens mouvements jihadistes de retrouver certains soutiens. Mohamed Hassan rappelle ainsi : « Pour combattre l’armée de Kadhafi, le gouvernement US n’a pas hésité à s’allier à des groupes jihadistes. Il savait que l’est de la Libye était un sanctuaire de terroristes comme en atteste un rapport de l’académie miliaire de West Point rédigé en 2007. Nous savons aussi que la CIA s’est appuyée sur l’ancien leader du GICL. L’amiral Stavridis, commandant suprême des Forces alliées de l’Otan en Europe reconnaissait d’ailleurs que des combattants de ce groupe affilié à Al Qaïda participaient aux efforts pour renverser Kadhafi, mais qu’ils le faisaient “à titre personnel”. La déclaration date de 2011. Elle pourrait faire sourire si nous ne connaissions pas les conséquences tragiques de l’intervention de l’Otan en Libye. »
De même, en Syrie, les Etats-Unis et leurs alliés, Turquie, Arabie saoudite et Qatar, se sont appuyés sur des groupes jihadistes pour combattre l’armée syrienne. La fable du « printemps syrien » voudrait que Washington ait opéré une distinction pointilleuse entre les rebelles modérés et les extrémistes. En réalité, la plupart des experts s’accordent à dire que cette distinction relève de la fiction. Selon la situation sur le terrain et les aides apportées aux différents groupes, un combattant pouvait ainsi se battre sous la bannière de l’ASL un jour et sous celle du Front al-Nosra le lendemain. Rappelons en outre que les « modérés » ne le sont pas tant que ça… Tout le monde se souvient de Khalid al Hamad, l’homme qui, devant une caméra, porta le cœur d’une de ses victimes à la bouche. Il dirigeait la brigade al Farouk, affiliée à l’ASL, les « démocrates ».
En détruisant l’Irak et en menant des guerres de proximité en Libye et en Syrie, les Etats-Unis et leurs alliés ont donc contribué à la résurgence de la mouvance jihadiste. « Après les fiascos d’Irak et d’Afghanistan, poursuit Mohamed Hassan, Barack Obama s’est trouvé dans l’impossibilité d’engager ses troupes dans un nouveau conflit. Pourtant, les États-Unis n’ont pas renoncé à leurs prétentions sur le Moyen-Orient. La présidence d’Obama consacre donc le retour du “soft power” : plutôt que d’envoyer ses soldats au casse-pipe, Washington utilise des groupes sur place. Ça ne vous étonnera sans doute pas, parmi les proches conseillers d’Obama, on retrouve un certain Zbigniew Brzezinski. C’est lui qui a eu l’idée d’armer des fanatiques musulmans en Afghanistan pour combattre l’armée afghane et les troupes soviétiques dans les années 80. En Libye, les États-Unis n’avaient d’autre choix que de recourir aux jihadistes. En Syrie, ils espéraient pouvoir démobiliser une grande partie de l’armée en jouant la carte confessionnelle. Les déserteurs devaient ainsi venir grossir les rangs de l’Armée syrienne libre. Or, il y a bien eu des défections. Mais les soldats qui ont quitté leur poste ont généralement quitté le pays en même temps. En Syrie aussi, les États-Unis n’avaient donc d’autre choix que de s’appuyer sur des jihadistes. Mais utiliser ces groupes est une chose, les contrôler en est une autre. »
Comment l’islamophobie a gangrené la France
Le retour du soft power n’a pas seulement été marqué par l’utilisation de groupes sur place. Des jeunes ont également quitté l’Europe pour aller se battre. L’un des auteurs de l’attaque contre Charlie Hebdo était d’ailleurs un jihadiste bien connu des services français. Car le fanatisme religieux ne gangrène pas seulement les champs de bataille en Irak, en Syrie ou en Libye. Il a également trouvé des adeptes en Europe et en France plus particulièrement. Sans doute le « quelque chose » qu’évoquait Philippe Val et qui ne peut être compris qu’à la lumière du climat islamophobe qui s’est fortement développé dans la foulée des attentats du 11 septembre, mais dont les racines remontent à plus loin, comme nous l’explique le sociologue Saïd Bouamama avec qui nous nous sommes entretenus : « L’islamophobie a en premier lieu des racines très anciennes en France puisqu’elle faisait partie de la stratégie idéologique coloniale. Pour justifier la mission civilisatrice, une des armes utilisées était l’approche culturaliste de la religion musulmane. On la présentait comme homogène, comme conduisant inévitablement au fanatisme et comme incapable d’adaptation au contexte “moderne”. Cette image de l’Islam a été véhiculée massivement dans les livres scolaires, les films, les images, etc. Elle s’est ancrée de ce fait dans les mentalités collectives, mais avait comme contrepoids une conscience ouvrière forte appelant à prendre en compte les dimensions communes : les intérêts de classe et la culture ouvrière. Lors des indépendances, aucun travail n’a été mené pour déraciner et déconstruire cette stigmatisation de l’Islam. L’époque était cependant encore aux luttes et aux conquêtes sociales, ce qui relativisait le poids de ces héritages réactionnaires. »
La crise économique des années 70 va cependant changer la donne et les clichés de l’époque coloniale vont alimenter le fonds de commerce de l’extrême droite. « Avec la crise structurelle et systémique qui a touché le capitalisme français dans la décennie 70, poursuit Saïd Bouamama, le Front National a repris à son compte toutes ces caricatures de l’Arabe, du Noir et du musulman issus de la période coloniale. N’ayant pas été éradiquées, ces images se sont endormies, mais étaient toujours disponibles. Le Front National, dont une partie importante des dirigeants ont été formés pendant la guerre d’Algérie et y ont participé, a investi ce terreau propice. Il a ainsi pu sortir de la dimension groupusculaire dans laquelle était cantonnée l’extrême droite depuis la victoire contre le nazisme en 1945. Dans la décennie 80, le Parti Socialiste a mis en place des politiques ultralibérales qui ont fragilisé profondément les classes populaires. Or, les processus de paupérisation massive et de précarisation sont producteurs d’un sentiment de désespérance sociale pour le monde ouvrier. Un sentiment que le Front National tente de récupérer à son profit. »
Le parti d’extrême-droite a tiré habilement son épingle du jeu, parvenant à une lepénisation des esprits en France, comme nous l’explique Saïd Bouamama : « Entièrement engagés dans les politiques de dérégulation, les gouvernements socialistes puis de droite tentent d’éviter les colères sociales en diffusant des grilles ethniques de lecture (sur la délinquance, sur l’insécurité, sur la dégradation des conditions de vie dans les quartiers populaires, etc.) c’est-à-dire en reprenant les thèmes, les logiques, les manières de poser les questions sociales du Front National. C’est un véritable processus de lepénisation des esprits qui se met en place. Parallèlement, au sein des classes populaires, la composante issue de l’immigration des anciennes colonies est celle qui est la plus touchée par la crise en même temps où elle est désignée comme responsable des maux sociaux par la lepénisation des esprits. »
Devenus les nouveaux boucs-émissaires d’une France gangrénée par le racisme, certains jeunes vont trouver un exutoire dans la religion. « Progressivement, les discriminations se massifient et deviennent systémiques, impactant le devenir des jeunes français issus de l’immigration postcoloniale, précise Saïd Bouamama. Pour une partie d’entre eux, le réinvestissement de la foi musulmane a été un antidote à l’autodestruction. Pour d’autres, la réaction est sous forme de révoltes culminant en novembre 2005 par l’explosion de 400 quartiers populaires pendant 21 jours contre les injustices qui les touchent en termes de discriminations, de relégations et de contrôles policiers débouchant sur de multiples morts de jeunes sous les balles de la police. Les organisations de gauche étaient coupées des quartiers et des classes populaires, elles refusaient de prendre en charge la lutte contre les discriminations racistes, les considérant comme soit inexistantes, soit comme secondaires. Ces organisations de gauche étaient donc incapables de saisir qu’il s’agissait d’une révolte populaire et l’ont laissée dans l’isolement, contribuant ainsi à creuser un fossé. Le Front National initie alors la conversion de son idéologie raciste antimaghrébine en racisme contre les musulmans et contre l’islam c’est-à-dire en islamophobie. »
Mais le nouveau cheval de bataille de l’extrême droite dépasse largement les seuls meetings du FN. « La nouvelle thématique sera comme les précédentes, reprise par la droite classique et le Parti Socialiste, enchaîne Saïd Bouamama. La loi sur le foulard en 2004 marque le passage à une islamophobie d’Etat désignant l’islam comme danger pour la république, le droit des femmes et la laïcité. Cette stratégie ne désarme pas le Front National qui devient brusquement “républicain” lui qui depuis sa naissance frayait avec les monarchistes. Il devient brusquement “féministe”, lui qui depuis sa naissance était pour le retour des femmes au foyer et pour le retour à la tradition. Il devient brusquement laïque, lui qui depuis sa naissance était pour une France chrétienne. Les bases d’un consensus transversal antimusulman sont posées. Les uns en attendent une progression de leur audience politique qu’ils emmagasinent à chaque élection. Les autres au Parti Socialiste et à droite s’en servent comme débat-écran pour détourner l’attention des véritables questions sociales. »
Et ce contexte islamophobe a bien évidemment un impact sur ces quelques jeunes Français qui ont versé dans le fanatisme religieux pour partir faire le jihad au Moyen-Orient. Avec tous les problèmes que pose leur retour, leur départ n’en étant pas moins problématique. L’un des auteurs de l’attaque de Charlie Hebdo se serait ainsi félicité d’avoir « vengé le Prophète ». « Fragilisés socialement, victimes de discriminations massives (à la formation, à l’emploi, dans la recherche de logement, etc.), humiliés par des contrôles de police permanents, présentés comme un danger pour la société, mis en accusation permanente dans les médias et enfin de nouveau humiliés par les attaques incessantes contre l’islam, certains de ces jeunes sont en recherche d’un canal pour exprimer leur révolte« , relève Saïd Bouamama. « De surcroit, le spectacle de guerres d’agression pour le pétrole accompagné du même discours antimusulman qu’ils subissent déjà, dans un contexte d’abandon des quartiers populaires par les organisations de gauches, en font un terrain propice pour tous les manipulateurs de la misère et de la souffrance humaine. Si la majorité des jeunes ne sombre pas dans le nihilisme, une minorité d’entre eux sont dans la recherche d’un canal pour à la fois exprimer leur révolte et trouver un débouché au nihilisme autodestructeur qui les touche. »
Charlie Hebdo : des gauchistes anars ou des réacs islamophobes ?
Comment situer Charlie Hebdo dans ce contexte islamophobe ? Le journal est lancé en 1960 par le Professeur Choron et François Cavana. Il s’appelle alors Hara-Kiri et annonce le ton : bête et méchant. Précurseur d’une certaine manière de mai 68, la bande de joyeux drilles semble décréter avant l’heure qu’il est interdit d’interdire… de rire. Une ligne éditoriale qui ne passe pas toujours très bien. En 1970, la une du journal sur la mort du général de Gaulle conduit à l’interdiction d’Hara-Kiri. Choron et Cavana trouvent la parade et reviennent avec Charlie Hebdo. Wolinski explique à l’époque qu’il est gauchiste, avant de préciser qu’il est surtout quelqu’un « qui doute de tout » . « Y a des tendances qui nous sont plus sympathiques que d’autres », précise Cavana. « Ce qui est certain, c’est qu’on est contre le sectarisme, quel qu’il soit. On doit jamais abdiquer la liberté de penser, c’est-à-dire l’esprit critique. Tout est critiquable, rien n’est sacré. » En ce sens, Hara-Kiri d’abord et Charlie Hebdo ensuite ont contribué à libérer la pensée. Et le journal incarnait une certaine idée du progrès.
En 1981, le titre disparaît. Manque d’abonnés. Onze ans plus tard, l’hebdo renaît. On y retrouve Philippe Val aux manettes jusqu’en 2009. Ses positions tranchent avec l’esprit gauchiste qui avait animé Charlie Hebdo par le passé. Philippe Val défend le « oui » au référendum sur la Constitution européenne, soutient la guerre en Irak, attaque Chomsky à coup de calomnies, propage de fausses rumeurs sur le Forum Social Européen et ouvre les colonnes de Charlie à Caroline Fourest. En 2006, il se fend de ces quelques mots dans les colonnes de son journal : « Si l’on regarde une carte du monde, en allant vers l’est : au-delà des frontières de l’Europe, c’est-à-dire de la Grèce, le monde démocratique s’arrête. On en trouve juste un petit confetti avancé au Moyen-Orient : c’est l’État d’Israël. Après, plus rien, jusqu’au Japon. (…) Entre Tel-Aviv et Tokyo règnent des pouvoirs arbitraires dont la seule manière de se maintenir est d’entretenir, chez des populations illettrées à 80 %, une haine farouche de l’Occident, en tant qu’il est constitué de démocraties. » Et tant pis si, comme le relevait le Plan B, selon un rapport des Nations Unies, seuls trois pays dans le monde avaient encore un taux d’illettrisme de 80 % et qu’aucun de ceux-là n’était situé entre Tokyo et Tel-Aviv.
Avec Philippe Val, « quelque chose » s’est répandu à Charlie Hebdo. Aussi, on voudrait croire que certains dessins, comme celui sur les esclaves sexuelles de Boko Haram, s’inscrivent dans la tradition loufoque du journal bête et méchant. Mais on finit par se demander s’ils n’auraient pas plus leur place dans Valeurs Actuelles. D’autant que la liberté de ton ne vaut plus pour tout à Charlie Hebdo. Cavana disait qu’il fallait pouvoir taper sur tout le monde. Philippe Val pose des limites où il l’entend. En 2008, Siné ironise sur la possible conversion au judaïsme de Jean Sarkozy. Quelques jours auparavant, Libération l’avait déjà évoquée très sérieusement. Mais dans le Charlie nouveau, ça ne passe pas. Ça ne passe plus. Siné, à qui on devait le dessin d’une nonne se masturbant avec un crucifix, est prié de prendre la porte. D’autres l’avaient prise avant lui. Comme Olivier Cyran qui dénonçait « la conduite despotique et l’affairisme ascensionnel » de Philippe Val.
Charlie Hebdo était-il devenu un journal réac ? Charb pouvait se moquer de l’islam tout en défendant la cause palestinienne. Quand Val faisait la promo de la Constitution européenne, Cabu appelait à voter non quelques pages plus loin. Et si le même Val louait la diplomatie US, Wolinski soutenait Cuba. Tous les dessinateurs de Charlie n’avaient donc pas retourné leurs vieilles vestes d’anars gauchistes. Mais les valeurs que sous-tend leur engagement ont pu être instrumentalisées au profit de causes pas très glorieuses. Ainsi, dans une France où les amalgames islamophobes sont devenus légion, représenter le Prophète Mohamed en terroriste ne relevait pas de l’exploit. « Charlie Hebdo fait partie des multiples couches islamophobes qui se sont cumulées ces dernières années et qui continuent récemment avec un Zemmour ou un Houellebecq, indique Saïd Bouamama. Bien que comportant dans son équipe des personnalités différentes et des points de vue politiques différents, ils ont en commun un rapport à la religion antimatérialiste, la percevant par principe comme réactionnaire en tout lieu et en tout temps. Certains ont donc pensé sincèrement que l’Islam était le nouveau danger religieux d’aujourd’hui. D’autres comme Val ont surfé sur la vague islamophobe en cours dans la société et propulsée par l’Etat pour tenter d’augmenter l’audience économique du journal. C’est lui qui fait prendre un tournant radical au journal en prenant l’Islam comme cible privilégiée. Il ne s’agit plus d’une approche globale antireligieuse (même si quelques articles continuent à cibler d’autres religions), mais de prendre comme cible une religion spécifique. »
Voilà pour le contexte islamophobe. Quelles que fussent les prises de position de Charlie Hebdo, rien ne saurait évidemment justifier l’attentat de mercredi. Il s’agit plutôt de comprendre les facteurs qui ont rendu possible l’impensable. Cette compréhension est d’autant plus importante que déjà, des tentatives de récupération politique malsaine voient le jour, nous appelant à creuser encore alors qu’on pensait avoir touché le fond. En Grèce, pour dénoncer son adversaire de la gauche radicale, Antonis Samaras, premier ministre issu du parti conservateur Nouvelle Démocratie, a déclaré : « Aujourd’hui à Paris, un massacre s’est produit avec au moins douze morts. Et ici certains encouragent encore davantage l’immigration illégale et promettent la naturalisation » . Le milliardaire américain Donald Trump a quant à lui invité la France à autoriser le port d’armes : « Souvenez-vous, quand les armes sont hors la loi, seuls les hors-la-loi sont armés ! » . De son côté, Marine Le Pen a appelé à un référendum sur la peine de mort. C’est dur d’être pleuré par des cons…
« Malheureusement, la solution nécessite une action dans plusieurs directions simultanément, soulève Saïd Bouamama. Il s’agit à la fois de s’opposer aux guerres pour le pétrole pour orienter la colère légitime vers le politique afin qu’elle ne soit pas dévoyée. Il s’agit en second lieu de combattre sans concession l’islamophobie afin de briser le sentiment d’isolement face aux attaques que ressent cette partie importante quantitativement des classes populaires. Il s’agit également d’organiser ces jeunes afin que s’organise avec eux le combat contre les discriminations systémiques, contre les contrôles et crimes policiers. Il s’agit enfin de produire une nouvelle perspective commune qui remet en cause les choix économiques actuels et la politique internationale française. Sans cela, des révoltes légitimes continueront à être dévoyées ».
Le choc des civilisations ou la lute des classes ?
Dimanche 11 janvier à Paris, la marche républicaine en hommage aux victimes des attentats a réuni 1,5 million de personnes. Il était beaucoup question de liberté d’expression malgré la présence de Netanyahou en tête de cortège. En 2014, Gaza a été le deuxième plus grand tombeau de journalistes dans le monde . Au mois d’août, durant le confit mené contre la petite bande de terre palestinienne, les reporters qui souhaitaient entrer dans Gaza devaient signer une décharge pour empêcher toute poursuite contre l’armée israélienne en cas de blessure ou de mort . En matière de liberté d’expression, on a vu mieux.
L’attentat contre Charlie Hebdo ne peut cependant être ramené à cette seule dimension. Ses racines, l’imposition d’un islamisme réactionnaire au Moyen-Orient et la marginalisation des jeunes issus de l’immigration, dépassent largement le cadre de la liberté d’expression. Une grande partie de la classe politique, des médias et des intellectuels de gauche comme de droite réduit pourtant les événements à cet unique combat. Ils imposent ainsi, malgré les mises en garde sur les amalgames, une grille de lecture calquée sur le choc des civilisations. Ils posent la contradiction entre jihadistes fanatiques d’un côté et citoyens républicains de l’autre. Les premiers ne seraient que des fous de Dieu. Nous avons vu pourtant que derrière ce fanatisme, il y avait une énorme frustration qui, faute d’alternative politique constructive, avait été canalisée vers l’impasse jihadiste. De l’autre côté, les citoyens réunis dans un grand front républicain sont invités à défendre farouchement les valeurs démocratiques menacées par l’obscurantisme religieux.
Le débat posé en ces termes ne permettra pas de sortir la tête de l’eau. Au contraire. On peut s’attendre à un clivage plus fort de la société, à la montée de l’extrême-droite, à des mesures sécuritaires liberticides, à l’instauration d’un climat de psychose et à la poursuite de la radicalisation d’une minorité de jeunes. Aucune solution constructive et efficace donc. À qui profite dès lors cette grille de lecture ? À ceux qui ont combattu le nationalisme arabe pour piller le pétrole du Moyen-Orient. À ceux qui font la guerre par jihadistes interposés pour que leurs multinationales fassent toujours plus de profits. À ceux qui continuent de creuser le fossé entre riches et pauvres. A ceux qui, incapables d’apporter des solutions à la marginalisation des jeunes issus de l’immigration, ont joué le jeu de l’extrême-droite. À ceux qui s’évertuent à appliquer l’austérité alors que les familles les plus riches continuent de s’enrichir malgré la crise. À ceux qui sont incapables de se remettre en cause et d’engager leur responsabilité dans l’attentat du 7 janvier. Ceux-là mêmes qui font le lit du fanatisme ne peuvent que proposer un front républicain pour la liberté d’expression. Ils parviennent ainsi, comme l’explique Saïd Bouamama, à unir ceux qui devraient être divisés, et à diviser ceux qui devraient être unis .
Plutôt que de faire défiler les opprimés derrière des criminels de guerre à Paris, il convient donc de substituer au choc des civilisations la lutte des classes. Un concept démodé ? Pas si l’on en croit le milliardaire Warren Buffet : « Il y a une lutte des classes. C’est ma classe, les riches, qui a déclaré cette guerre et qui est en train de la gagner. » Il est grand temps de lancer la contre-offensive contre les guerres économiques, les inégalités et les faux débats.
L’attaque de Charlie Hebdo a porté atteinte à nos valeurs démocratiques. Et c’est bien par plus de démocratie qu’il faut répondre au drame. Sans se tromper. Ce n’est pas démocratique de larguer des bombes, même sur une dictature. Ce n’est pas démocratique de stigmatiser des citoyens, même au nom de valeurs républicaines. La véritable démocratie appelle à une lutte collective, contre l’obscurantisme et contre le terreau qui l’a vu germer. Une lutte sur plusieurs fronts donc, qui nécessite prise de conscience et solidarité.
Al-Qaïda : terroriste en France, alliée en Syrie
Chères Charlie, chers Charlie,
Je partage votre indignation, votre colère et votre tristesse au lendemain de ces actes de guerre inhumains contre la Liberté, l’Égalité et la Fraternité – valeurs universelles qui nous unissent malgré nos différences. À l’heure où je finalise cet article, trois terroristes viennent d’être tués par les forces de l’ordre, après avoir imposé à la France une atmosphère de guerre civile en commettant des attentats d’une rare sauvagerie. Dans ce contexte de déstabilisation systémique, soyons unis, tolérants et solidaires. Mais ne laissons pas l’émotion neutraliser notre esprit critique ! (1)
En effet, au lendemain de ces crimes effroyables – sachant que nos gouvernants risquent d’alimenter ou de déclencher de nouvelles guerres « contre » le terrorisme –, (2) il est plus que jamais indispensable de rappeler plusieurs faits dérangeants sur la politique étrangère de la France en Syrie. Tout d’abord, prenez conscience que notre actuel ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a ouvertement soutenu en décembre 2012 le Front al-Nosra – c’est-à-dire la branche « syrienne » d’al-Qaïda. En effet, selon les informations du journal Le Monde, « la décision des États-Unis de placer Jabhat Al-Nosra, un groupe djihadiste combattant aux côtés des rebelles, sur leur liste des organisations terroristes, a été vivement critiquée par des soutiens de l’opposition [en Syrie]. M. Fabius a ainsi estimé, mercredi, que “tous les Arabes étaient vent debout” contre la position américaine, “parce que, sur le terrain, ils font un bon boulot”. “C’était très net, et le président de la Coalition était aussi sur cette ligne”, a ajouté le ministre. » (3)
(…)
Lire la suite : http://www.dedefensa.org/article-al-qa_da_terroriste_en_france_alli_e_en_syrie_10_01_2015.html
26.11.2014
Afrique Média TV
17.11.2014
Les manipulations médiatiques sur les poilus lors de la commémoration de l’armistice
Le centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale a donné une dimension particulière aux cérémonies de commémoration de l’armistice. L’inauguration d’un « Anneau de la mémoire » à Notre-Dame-de-Lorette par le président de la république a été une nouvelle occasion de justifier les interventions militaires françaises en Afrique et au Moyen-Orient. « Ce sont nos militaires qui se battent encore au Mali, qui évitent des massacres en Centrafrique ou nos aviateurs qui en Irak luttent contre le fanatisme » déclare François Hollande pour souligner que « la paix a besoin de militaires ». Les discours politiques et médiatiques à l’occasion de cette commémoration font apparaître au moins trois angles morts : le silence assourdissant sur les mutineries de soldats, le mutisme généralisé sur les conditions de recrutements des « tirailleurs » issus des colonies, l’absence de référence aux modalités d’utilisation de ces soldats coloniaux. Ces angles morts non exhaustifs sont au service d’une conclusion mensongère assénée en permanence : l’Europe c’est la paix.
Silence assourdissant sur les mutins et fusillés pour l’exemple
Il a beaucoup été question de « patriotisme » dans le discours de Hollande à l’occasion du 11 novembre (1). Il en appelle même à un « patriotisme social » c’est-à-dire à une « Union sacrée » qui unirait ceux que leurs intérêts économiques et sociaux opposent. Au cours de la première guerre mondiale certains vont refuser cette « Union sacrée » pour une guerre qui n’est pas la leur. Henri Barbusse a dès 1916 décrit le sentiment vécu par de nombreux poilus d’une guerre où certains meurent pour les profits d’autres :
« Après tout pourquoi fait-on la guerre ? Pourquoi, on n’en sait rien ; mais pour qui, on peut le dire. On sera bien forcé de voir que si chaque nation apporte à l’idole de la guerre la chair fraîche de quinze cents jeunes gens à égorger chaque jour, c’est pour le plaisir de quelques meneurs qu’on pourrait compter ; que les peuples entiers vont à la boucherie, rangés en troupeaux d’armées, pour qu’une caste galonnée d’or écrive ses noms de prince dans l’Histoire ; pour que des gens dorés aussi, qui font partie de la même gradaille, brassent plus d’affaires […] Et on verra, dès qu’on ouvrira les yeux que les séparations qui se trouvent entre les hommes ne sont pas celles qu’on croit, et que celles qu’on croit ne sont pas (2). »
Les formes d’expression du refus plus ou moins affirmé de participer à la guerre sont multiples : automutilation, refus de montée en ligne, non-exécution des ordres, etc. Ils seront nombreux à être « fusillés pour l’exemple » après le passage devant une justice militaire sommaire. Les évaluations quantitatives du nombre de fusillés diffèrent. Elles varient de 500 à 800 soldats pour l’ensemble de la guerre (3) pour un total de 3500 condamnations pour refus de combattre. Au cours de l’année 1917 le refus de la guerre se fait collectif sous la forme de mutineries. On en dénombre 111 pour l’année 1917 conduisant à 1700 condamnations (4). Si les motivations des mutins sont multiples et hétérogènes, le refus de l’Union Sacrée est incontestable comme en témoigne les paroles de la chanson de Craonne écrites par un auteur anonyme :
Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendront, Car c’est pour eux qu’on crève, Mais c’est bien fini, car les trouffions, Vont tous se mettre en grève, Ce s’ra vot’ tour messieurs les gros, D’monter sur le plateau, Et si vous voulez faire la guerre, Payez-la de votre peau (5)
Jusqu’à aujourd’hui la réhabilitation collective des fusillés et mutins est une revendication d’un collectif d’associations regroupant la Libre pensée,l’Union pacifiste, la Ligue des droits de l’homme et l’Association républicaine des anciens combattants. Pour ne pas avoir à réhabiliter ces victimes d’une guerre impérialiste, François Hollande a demandé le 7 novembre 2013, qu’un espace soit consacré aux Invalides aux 639 soldats fusillés pour désertion au cours de la guerre. Cette esquive tente de calmer les revendications de réhabilitation tout en maintenant un silence sur le caractère impérialiste de la guerre. Les médias contribuent par leur silence à cette esquive idéologique consistant à classer une question sans la traiter réellement.
Mutisme généralisé sur le « recrutement » des soldats coloniaux
Les soldats coloniaux ont été en revanche présents dans le discours commémoratif du président. Le monument de Notre-Dame-de-Lorette comprend des noms de soldats issus d’une quarantaine de pays dont ceux issus des anciennes colonies. Le 7 novembre 2013, lors du lancement des commémorations officielles du centenaire de la Grande Guerre, le président de la république déclare :
« Comment ne pas saluer les 430 000 soldats venant de toutes les colonies, de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est et qui ont pris part à une guerre qui aurait pu ne pas être la leur. Ils y ont participé pour la France, et cet engagement fut ensuite au cœur de leur légitime exigence d’émancipation et d’indépendance. La France a souscrit une dette d’honneur à l’égard de leurs descendants qu’ils soient en Afrique, en Asie ou qu’ils soient aujourd’hui citoyens français. Cette dette d’honneur, nous l’honorons, en ce moment-même au Mali, pour lutter contre le terrorisme et préserver, à notre tour, l’intégrité d’un pays démocratique (6). »
Associer la mémoire des soldats coloniaux à une intervention militaire néocoloniale révèle une logique de pensée qui n’a en rien rompu avec le mépris des indigènes qui a marqué toute l’époque coloniale et tout l’empire colonial français. Présenter l’enrôlement des indigènes comme un « engagement » est tout simplement un mensonge. Rappelons également que le mépris colonial a été présent jusqu’au traitement des « fusillés pour l’exemple » pendant la guerre. Le général Foch ordonne l’exécution de 10 % de l’effectif d’une compagnie de tirailleurs coloniaux dans les termes suivants :
« Les ordres portent qu’il soit tiré au sort un tirailleur sur dix de la compagnie qui a refusé de marcher, sans préjudice des instigateurs de ce refus d’obéissance s’ils venaient par la suite à être connus. Que les tirailleurs désignés par le sort soient promenés devant le front avec un écriteau en français et en arabe portant le mot « lâche », qu’ils soient fusillés aussitôt après (7). »
Il est vrai que la sanction collective faisait alors partie du code de l’indigénat. Ces soldats fusillés se sont-ils réellement engagés et dans quelles conditions ? Il n’est pas inutile de rappeler les conditions d’enrôlement des indigènes dans l’armée à l’époque.
Avant l’imposition de la conscription en 1912 les soldats coloniaux sont uniquement des « engagés volontaires ». Les premiers « volontaires » sont des esclaves rachetés par l’armée. L’abrogation de l’esclavage « provoqua aussitôt une crise du recrutement. Trois ans après 1848, seuls trois candidats s’étaient portés volontaires ; or il fallait au moins deux cent hommes pour assurer la garnison (8) ». Cet exemple du Sénégal se retrouve dans les autres colonies d’Afrique subsaharienne. C’est donc la difficulté à recruter des « volontaires » qui aboutit à la décision d’imposer la conscription.
La France, souligne l’historien canadien Myron J. Echenberg est « la seule puissance à imposer la conscription universelle des hommes aussi bien en période de paix qu’en temps de guerre, et ce, sur presque un demi-siècle, soit de 1912 à 1960 »(9). Voyons comment se réalisent ces « recrutements » en commençant par l’Afrique subsaharienne et en donnant la parole au comité scientifique international de l’UNESCO :
« Après l’ouverture des hostilités, alors que l’Afrique occidentale comptait à elle seule 14785 soldats africains, il fut décidé d’en recruter 50 000 autres au cours de la période 1915-1916. C’est alors que commença en Afrique française ce que le gouverneur Angoulvant a appelé « une véritable chasse à l’homme » et que Jide Osuntokun a récemment qualifié de nouvelle traite des noirs. Ayant à fournir un certain contingent de recrues, les chefs s’emparaient d’étrangers et d’anciens esclaves pour éviter d’enrôler leurs enfants ou leurs parents. Les naissances n’étant pas enregistrées, nombreuses furent les recrues qui avaient dépassé ou n’avaient pas encore atteint l’âge de porter les armes. Mais comme nous le verrons, la campagne de recrutement provoqua d’importantes révoltes, et il fut impossible de lever des troupes dans les régions en rébellion (10). »
Les révoltes contre la conscription sont fréquentes. A l’issue de l’une d’elle au Mali, le gouverneur François Clozel est contraint de constater « l’hostilité incoercible, absolue, définitive des populations au recrutement (11) ». La situation n’est pas meilleure en Afrique du Nord. Voici un témoignage de révolte contre la conscription dans la région de Mascara en Algérie :
« La population de Sidi Daho se révolte le 21 septembre 1914 et refuse que les quarante enfants recensés pour le service militaire partent. Les notables furent arrêtés et les jeunes emmenés de force à la caserne, sans l’examen médical préalable et sans le tirage au sort prévu. L’armée française occupa la région, installa canons et mitrailleuses. Certains détenus ne seront libérés qu’à la fin de la première guerre mondiale en novembre 1918, d’autres envoyés à Cayenne dont un seul reviendra après la deuxième guerre mondiale (12). »
En Asie la situation est similaire. Le futur président Ho Chi Minh donne dans ses textes de l’époque de nombreux exemples. Citons-en un :
« Si les Annamites étaient tellement enchantés d’être soldats, pourquoi les uns étaient-ils enchaînés, tandis que d’autres étaient, en attendant l’embarquement, enfermés dans un collège de Saïgon, sous l’œil des sentinelles françaises, baïonnettes au canon, fusils chargés ? Les manifestations sanglantes du Cambodge, les émeutes de Saïgon, de Bien Hoa et d’ailleurs, étaient-elles donc les manifestations de cet empressement à s’engager « en foule » et « sans hésitation » ? (13) »
Economiser le sang blanc en sacrifiant le sang noir
Les discours militaires et politiques de l’époque sur les soldats coloniaux laissent apparaître un argumentaire essentialiste. La période est riche en projets militaires : Le député Adolphe Messimy défend le projet d’une armée arabe en 1908, Le colonel Charles Mangin en appelle à la création d’une « force noire » en 1909 et le général Pennequin défend l’idée d’une « force jaune » en 1912. Le colonel Mangin publie son livre La force noire en 1910 pour argumenter son projet. L’Arabe étant considéré « comme le plus ingouvernable de tous les peuples », il en appelle aux « qualités des noirs », à savoir « la rusticité, l’endurance, la ténacité, l’instinct de combat, l’absence de nervosité, et une incomparable puissance de choc ». Compte-tenu de ces « qualités » quasi-animales, il est attendu « que l’arrivée sur le champ de bataille produira sur l’adversaire un effet moral considérable (14) ». Dans la même logique essentialiste, Mangin classe les noirs en « races guerrières » que sont selon lui les Mandingues, les Bambaras et les Wolofs et « races non guerrières » qui regroupent les nomades de l’Ouest africain.
Logiquement, il en appelle à une utilisation massive des noirs dans la guerre. La guerre sera une « guerre d’effectifs » pense-t-il, et la mobilisation des noirs doit permettre d’économiser des vies blanches. Jusqu’en 1917 les idées de Mangin influenceront le commandement général. Devenu entretemps général de brigade en 1914, Mangin est affecté à l’état-major. Ses idées et conceptions influencent fortement le très influent général Nivelle. La pression pour un recrutement massif de noirs sur la base de cette logique raciste est tellement forte que des administrateurs coloniaux s’inquiètent des conséquences économiques possibles. Jules Cardes, Conseiller du Gouverneur Général de l’AOF, et Maurice Delafosse, directeur des Affaires indigènes et musulmanes, s’adressent au ministre Maginot :
« Ne peut-on rappeler que, malgré de sanglants avertissements, le commandement a voulu persister dans la guerre d’effectifs ? N’est-ce pas lui qui, pour apaiser l’opinion publique dont le sûr instinct allait voir juste, laissa entendre que cette guerre d’effectifs sera alimentée par de la chair noire au lieu de l’être par de la chair blanche ? [ …] Cet empire africain qui est pauvre en hommes est riche en produits ; laissez-lui sa misérable population pour le ravitaillement pendant la guerre et l’après-guerre (15). »
Cette réaction d’administrateurs coloniaux devant les difficultés et les conséquences du recrutement forcé n’est pas isolée. D’autres administrateurs soulignent les conséquences en termes de révoltes des indigènes. Cela conduit le ministre des colonies à suspendre les recrutements forcés et à n’utiliser que le recrutement volontaire. Le thème de l’économie de la chair ou du sang blanc apparaît jusque dans les directives. Le général Nivelle ordonne ainsi le 21 janvier 1917 :
« Il faut y aller par tous les moyens et ne pas ménager le sang noir pour conserver un peu de blanc (16). » Cette position n’est pas isolé, il y revient en février en demandant au ministre de la guerre que « le nombre d’unités noires mises à ma disposition soit aussi élevé que possible (tant) pour donner de la puissance à notre effectif (que pour permettre d’épargner dans la mesure du possible du sang français) (17) ».
C’est cette logique qui conduit à utiliser les troupes coloniales dans certaines missions spécifiques. Ainsi au chemin des dames dans l’Aisne, ils sont utilisés pour « enfoncer les lignes ennemies ». Il y a en fait une théorisation essentialiste de la tactique militaire. Le haut commandement considère les soldats coloniaux comme des « troupes de choc » efficaces pour percer le front. Dans ce contexte il n’est pas étonnant que les soldats noirs et maghrébins aient payés un lourd tribut aux combats du chemin des dames. Ils seront parmi les premiers gazés.
« Du 16 au 30 avril 1917, fait remarquer François Roux, 8000 tirailleurs africains sont massacrés dans l’Aisne, au Chemin des Dames, afin de « tester la qualité des positions ennemies (18) ».
Bien sûr, les soldats coloniaux n’ont pas été plus que d’autres une « chair à canon » au cours de la première guerre mondiale, mais cela révèle simplement que tous les soldats ont été considérés comme chair à canon au cours de cette guerre impérialiste. En revanche, il y a bien eu une perception essentialiste du soldat colonial conduisant à une tactique militaire discriminatoire.
Les trois angles morts que nous abordons ici rapidement ne sont pas les seuls. Ils ne sont pas seulement le fait de l’ignorance des journalistes ou des politiques. Ils contribuent à construire le roman d’une Europe qui aurait apporté la paix. Les horreurs de la guerre d’hier ne sont pas référées à des causes économiques et politiques, mais apparaissent comme le résultat de la division des nations européennes, que l’union actuelle a fait disparaître. Pour cela il convient d’homogénéiser les points de vue et les attitudes des participants au massacre impérialiste : plus de réfractaire à la guerre en 1914-1918, plus de recrutement forcé dans les colonies et plus d’utilisation raciste des soldats coloniaux. Quant à l’idée de l’Europe porteuse de paix elle montre une confusion entre la fin de la guerre sur le continent européen et la fin des guerres menés par les européens. En Irak, en Afghanistan, au Mali, en Centrafrique, en Côte d’Ivoire et malheureusement dans de nombreux autres pays, les peuples savent que l’Europe reste instigatrice ou actrice de guerre pour les richesses pétrolières, gazières et minières.
Notes :
1 François Hollande, dépêche AFP du 11-11-2014.
2 André Loez, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, Gallimard, Paris, 2010.
3 Frédéric Durdon et Pierryk Hervé, Les fusillés de la Grande Guerre, CNDP, Paris, 2011, p. 6.
4 André Loez, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, Gallimard, Paris, 2010.
5 La Chanson de Craonne est d’auteur inconnu. Elle sera interdite jusqu’en 1974 et un million de franc-or fut promis à qui dénoncerait son auteur.
6 François Hollande, discours du 7 novembre 2013, http://www.elysee.fr/declarations/a…
7 Cité in Jean-Claude Flament, 14-18 étions-nous bien défendu ?, Société des écrivains, Paris, 2014, p. 26.
8 Myron J. Echenberg, Les tirailleurs sénégalais en Afrique occidentale française, 1857-1960, Karthala, Paris, 2009, p. 33.
9 Ibid, p. 25.
10 – Michael Crowder, La première guerre mondiale et ses conséquences, in Adu Bohaen (coord.), Histoire générale de l’Afrique, tome 7, éditions de l’UNESCO, Paris, 1987, p. 319.
11 François Clozel, cité in Marc Michel, Les Africains et la Grande Guerre : l’appel à l’Afrique : 1914-1918, Karthala, Paris, 2014, p. 39
12 Moutassem-Mimouni Badra, Passion d’Algérie. Chroniques de tourments et d’obsessions, Karthala, Paris, 2006, pp. 43-45.
13 Ho Chi Min, Le procès de la colonisation française, in Ho Chi Min, Action et Révolution, 10-18, Paris, 1968, p. 44.
14 Charles Mangin, La force noire, Hachette, Paris, 1910, p. 343.
15 Jules Cardes et Maurice Delafosse, Rapport du gouverneur général au ministre Maginot, cité in Marc Michel, op.cit., p. 62.
16 Cité in François Roux, La Grande Guerre inconnue : les poilus contre l’armée française, Les Editions de Paris-Max Chaleil, Paris, 2006, p. 42.
17 Cité dans Bastien Dez, « Dans la guerre des Toubabs ». Les tirailleurs « sénégalais » en 1917, Mémoire de recherche, Paris IV-Sorbonne, 2007, p. 13.
18 François Roux, La Grande Guerre inconnue : les poilus contre l’armée française, op.cit., p. 42.
Voir aussi
« On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour des industriels » :
16.9.2014
1.6.2014
François Théodore DENGOUE, fondateur de L’AFRICAN ADVICE REPORT, Démonte le Dossier des Biens Mal Acquis
Le combat évolue certes lentement mais surement. Comme le disait le Professeur Cheikh Anta Diop, « si réellement l’égalité intellectuelle est tangible, l’Afrique devrait, sur des termes controversés, être capable d’accéder à la vérité par sa propre investigation intellectuelle, se maintenir à cette vérité jusqu’à ce que l’humanité sache, que l’Afrique ne sera plus frustrée, que les idéologues perdront leur temps, parce que ils ont rencontré des intelligences égales qui peuvent leur tenir tête sur le plan de la recherche de la vérité »