Lassociation Survie sindigne de la décision du ministère public de ne pas faire appel du verdict rendu dans le procès de laffaire du meurtre de Firmin Mahé. Les peines avec sursis prononcées contre les militaire français jugés coupables de ce crime de guerre commis en Côte dIvoire sont en effet insignifiantes. Mais surtout, les responsabilités au sommet, tant militaires que politiques, ont été honteusement escamotées. Signe que les interventions de larmée française en Afrique demeurent au-dessus de tout contrôle.
Le 13 mai 2005 en Côte dIvoire, des soldats de lopération française Licorne étouffaient un Ivoirien au moyen dun sac poubelle. Firmin Mahé était le chef présumé dune bande armée, accusée de crimes dans la zone de confiance qui séparait le sud du pays, contrôlé par le gouvernement, et le nord, occupé par la rébellion. Suite aux accords de Linas-Marcoussis et aux résolutions de lONU, les casques bleus, fortement épaulés par les militaires français, y étaient en charge de la sécurité.
Cest dans cette zone « de confiance » en fait zone de non-droit, où a explosé la criminalité [1] que nos militaires se sont affranchis des règles. Emploi dindics ivoiriens sous uniforme français [2] ! Passages à tabac et traitements dégradants [3] !, Exhortation du colonel Burgaud pour « buter » un criminel pour lexemple [4] ! Et donc exécution extra-judiciaire pour Firmin Mahé. Rappelons aussi que, dans la même région, des soldats de Licorne avaient braqué une banque [5] !
Vendredi 7 décembre 2012, la Cour dassises a déclaré coupables trois des quatre militaires jugés dans cette affaire. Après deux semaines daudiences, ces militaires ont été adroitement décrits comme les véritables victimes de cette affaire victimes dun mandat onusien irréaliste, victimes de casques bleus incompétents, victimes dordres illégaux, victimes dune institution qui dresse des hommes à abandonner tout jugement ces auteurs dun crime de guerre caractérisé ont été condamnés à seulement un an à cinq ans de prison avec sursis. Dès le mardi 11 décembre, le Parquet a déclaré quil ne ferait pas appel de cette décision, avalisant ainsi une forme de « permis de tuer » pour les militaires français en Afrique : vous avez le droit à un assassinat, mais pas à deux. Si le jugement prononcé était juste, ce même jugement devrait en effet être prononcé de nouveau à lavenir contre tout autre militaire qui, face à une situation complexe, se rendrait coupable dexécution extra-judiciaire sur un prisonnier criminel. Le jugement actuel crée ainsi une jurisprudence dangereuse.
Par ailleurs, de bout en bout, la gestion de la crise ivoirienne est française. Les résolutions de lONU, qui donnent mandat à la force Licorne, ont toutes été écrites par la délégation française. Les accords de Linas-Marcoussis, qui ont instauré la zone de confiance et sur lesquels sappuyait lONU, ont été imposés depuis Paris. Les missions sous casques bleus sont pilotées depuis New-York par les diplomates, immuablement français, qui dirigent le département des opérations de maintien de la paix.
On sait dailleurs que les méthodes expéditives de larmée française en Afrique, particulièrement en Côte dIvoire, ne sarrêtent pas à laffaire Mahé. En dautres circonstances, un chasseur alpin dira « des affaires Firmin Mahé, mettant en cause des officiers supérieurs, jen ai vu plusieurs pendant que jétais en Côte-dIvoire. » [6]
Si, au contraire daffaires similaires, lélimination de Firmin Mahé a eu des conséquences judiciaires, cest très probablement à cause de lépisode dramatique qui la précédé en novembre 2004 et qui oppose deux acteurs majeurs de lépoque : la ministre de la Défense Alliot-Marie et le commandant de la Force Licorne à lépoque, le général Henri Poncet. Il sagit du bombardement de Bouaké, dans lequel neuf soldats français ont été tués et qui a précédé de sanglantes représailles de larmée française sur les civils Ivoiriens. Après la plainte des familles des soldats français victimes de ce bombardement, les partitions jouées par le général Poncet et par Michèle Alliot-Marie ne saccordent guère. Devant la juge du Tribunal aux Armées de Paris, le général évoque une « bavure manipulée » [7] destinée à justifier le renversement du président Gbagbo. Pour le contrer, lex-ministre exploite médiatiquement laffaire Mahé. Tandis quen 2010, à lissue de linstruction, le Tribunal aux Armées de Paris renvoie aux assises les quatres militaires qui viennent dêtre jugés, leur responsable hiérachique, le général Poncet, bénéficie dun non-lieu. Les audiences du procès ont pourtant révélé lexistence de rapports internes à larmée sur ce général au « style de commandement très violent, très pousse-au-crime » [8], qui aurait ordonné à lun de ses colonels, après le bombardement de Bouaké, « je veux des morts ivoiriens » [9] .
Exonération de la haute hiérarchie militaire de ses responsabilités, refus du ministère public de faire appel des peines de sursis prononcées : le précédent créé par cette première affaire en cour dassises concernant des militaires coupables dhomicide est désastreux. Lassociation Survie sindigne dune telle indulgence pour les exécutants et leur chef, qui na pas été inquiété. Cela revient à blanchir officiellement les comportements criminels de larmée française en Afrique.
[1] Lire « Les gens sont abandonnés à leur sort ». Témoignages recueillis en Côte dIvoire : 2003-2006, Médecins sans Frontières Belgique, 2007. Ce rapport nest plus disponible sur internet mais peut être consulté sur le site de Survie. Parmi les témoignages recueillis, un membre du personnel médical de la ville de Man déclarait en août 2005 : « les victimes de violences, qui se font soigner ici, viennent pour la plupart de lintérieur de la zone de confiance. Le danger y est omniprésent. Les habitants y sont abandonnés à leur sort. Ils ne peuvent compter sur personne pour assurer leur sécurité. Lorsquun vol est commis dun côté ou de lautre de la zone de confiance, on appelle la police et cest fini. Mais qui garantit la sécurité dans cette zone ? Tout le monde peut y faire ce quil veut sans risque dêtre inquiété car les crimes restent impunis. »
[2] Guy Raugel : « Javais monté un réseau dindics qui ne se connaissaient pas pour pouvoir recouper les informations. Ponctuellement, je mettais dans mes patrouilles un indic déguisé en militaire français. » Le Dauphiné Libéré, 27 novembre 2012. Guy Raugel a répété ses propos devant la cour dassises.
[3] Lire Larmée parmi les accusés au procès des mosquées brûlées, Libération, 07/12/2006. Au sujet dun ancien caporal chasseur alpin condamné au procès des mosquées brûlées dAnnecy : « À plusieurs reprises, il a participé à la force dinterposition entre rebelles et partisans du président Laurent Gbagbo en Côte-dIvoire. Il évoque laffaire Firmin Mahé, ce jeune Ivoirien tué par des soldats français, et dit : « des affaires Firmin Mahé, mettant en cause des officiers supérieurs, jen ai vu plusieurs pendant que jétais en Côte-dIvoire. » Il raconte que lorsquils attrapaient un rebelle, ils « le ligotaient et le sergent lui mettait un coup dans la gueule, puis cétait chacun son tour, et on le faisait sinon on était traités de pédés ». David Métaxas, avocat de la Licra, lui demande alors combien de fois cest arrivé. Il soupire, ne sait pas, suggère quil a vu pire mais ne peut pas le dire. Puis rapporte cette anecdote : pour lun de ses anniversaires, un lieutenant lui aurait dit : « joyeux anniversaire caporal. Comme cadeau, je toffre trente Noirs pour construire un bunker. » La cour ne comprend pas, lui demande dêtre plus clair. Il explique alors quil sagissait dun jeu fréquent. Des « esclaves » à qui lon faisait construire des « postes de combat avancés » dont larmée navait pas besoin. »
[4] Le colonel Burgaud a dit à ses hommes : « Il faut en buter un. Tant quon nen aura pas tué un, le problème ne sera pas réglé. » À la barre, il a expliqué quil sagissait en fait de « faire un flagrant délit ».
[5] Cest laffaire de la BCEAO : 12 soldats de la force Licorne ont été condamné à de la prison ferme pour avoir pillé la banque quils étaient censés garder.
[6] Cf. supra, Larmée parmi les accusés au procès des mosquées brûlées, Libération, 07/12/2006.
[7] Lire Le bombardement de Bouaké, une « bavure manipulée » ? Mediapart, 06/11/2011.
[8] Témoignage du général de Malaussène devant la cour dassises, le 4 décembre 2012.
[9] Le colonel dont il sagit, Luc de Revel, est aujourdhui sous-directeur de lAfrique subsaharienne pour la coopération militaire au Ministère des affaires étrangères. Son témoignage, qui figure dans le dossier Mahé (Mediapart, 06/11/2011), a été rappelé devant la cour dassises par le général de Malaussène.