Intervention datant de janvier 2011
Depuis le début de la crise ivoirienne, tout et son contraire ou presque ont été dits. Les Occidentaux soutiennent presque tous M. Ouattara quils appellent « Président élu » alors que les Africains soutiennent presque tous le président sortant Gbagbo quils désignent par « Président Réélu ». Au-delà des choix partisans pour lun ou lautre président élu ou réélu, il est intéressant de constater quil y a une autre bataille celle là à distance qui est en train de se jouer entre la Chine et loccident en Cote dIvoire. A travers des appuis militaires directs ou indirects.
LOccident défend une vieille idée de lAfrique dans laquelle il contrôle tout à travers ses hommes de mains et saccommodent volontiers dune misère de masse. La Chine est celle qui veut changer la donne et faire de lAfrique la vitrine de sa puissance économique et militaire hors dAsie. Ce qui froisse fortement lUnion Européenne et les USA. Mais ces derniers ont-ils la force et lénergie pour résister longtemps au rouleau compresseur chinois qui a malencontreusement décidé de faire de lAfrique un des piliers de sa superpuissance en construction ? Exactement comme les USA avaient fait de lEurope il y a 66 ans.
Laurent Gbagbo, meilleur symbole des frustrations des Européens et des Africains
Pour les Africains, les deux personnages de notre feuilleton symbolisent deux conceptions opposées de la politique africaine. M. Ouattara, se définit comme «Houphouëtiste», cest-à dire quelquun qui était ouvertement contre les Etats-Unis dAfrique. En 1963, son mentor Houphouët Boigny était avec lancien président Sénégalais Léopold Sédar Senghor les 2 principaux fossoyeurs du rêve de Kwame Nkrumah de créer immédiatement les Etats-Unis dAfrique. Pour Senghor et Houphouët la relation avec la France était plus importante que toute nécessité dautonomie africaine. Ce dernier avait alors prononcé la célèbre phrase : «Ils disent quils vont unir lAfrique du Cape au Caire. Ils le feront sans nous, sans ma Cote dIvoire». La suite on la connaît : lOUA est née comme une nullité avec un seul programme cher à Senghor et Boigny : «intangibilité des frontières héritées de la colonisation européenne» et adieu le vieux rêve de Kwame Nkrumah contenu dans son livre prémonitoire publié en 1961 du titre : Africa must unite (lAfrique doit sunir si elle ne veut pas connaître famine, pauvreté et guerres) .
Mettre fin à la triste parenthèse de lOUA était une priorité pour Gbagbo dès son arrivée au pouvoir en 2000 pour passer à la nouvelle Union Africaine (en 2002) comme étape intermédiaire vers la création des Etats-Unis dAfrique. Aujourdhui, M. Ouattara continue dans la même voie que Houphouët : il ignore les institutions de la Côte dIvoire (le conseil Constitutionnel) et préfère attendre sa légitimité de Paris ou de Washington. Il demande à une partie du monde de venir faire la guerre pour tuer une partie du peuple ivoirien.
Il demande daffamer les fonctionnaires ivoiriens en les privant de leur salaire. Il demande à la France dorganiser des commandos sous le couvert de la CEDEAO, et comme Houphouët, il na jamais expliqué ce qu’il compte offrir à la France en retour. Aux apprentis sorciers de la théorie des guerres éclair, jai envie de dire : aucune élection, aucune personne ne mérite quil y ait une seule vie de perdue. Les hommes passent, les empires disparaissent. Mais les cicatrices dune guerre ne finissent jamais. LIrak peut-il nous servir de leçon ?
Trois exemples hors dAfrique pour élucider mes propos :
Le 19 décembre 2010, on a voté en Biélorussie, le président sortant a proclamé quil a gagné avec 72% et a aussitôt mis en prison les dirigeants de lopposition. Y-a-t-il un seul pays Européen qui a menacé ce pays dutiliser la force pour déloger Alexander Loukachenko au pouvoir depuis 16 ans ? LUnion Européenne na prévu aucun plan militaire pour aller déloger le dictateur. La raison est simple : les 27 pays de lUnion Européenne ont à cur la valeur de la vie de leurs frères et surs de la Biélorussie. Cest à chacun de soigner ses intérêts et les Européens considèrent la vie humaine en Biélorussie plus importante quun dictateur qui sen ira tôt ou tard.
Le Secrétaire Générale des Nations Unies M. Ban Ki-Moon et le Représentant de lONU en Côte dIvoire M. Y Choi sont tous les deux citoyens dun pays divisé en deux, la Corée. Il y a un des deux présidents Kim Jong-Il quils disent fou et un danger permanent pour sa propre population et pour ses voisins. Mais pour Kim, M. Y Choi et M. Ban Ki-Moon ont toujours justement prôné la retenue. A ceux qui veulent faire la guerre en Côte dIvoire, jai deux questions : En quoi la vie dun Coréen serait-elle plus précieuse à préserver que celle dun Ivoirien ? En quoi la mort des populations civiles en Côte dIvoire serait-elle moins grave quen Corée ? En quoi Laurent Gbagbo est-il plus dangereux pour ses voisins que le dirigeant Nord-Coréen M. Kim Jong-Il, au pouvoir hérité de son père depuis 17 ans et qui lui-même lavait exercé pendant 46 ans jusquà sa mort et quil sapprête à passer à son fils ?
En Birmanie (Myanmar) en 2000 un vainqueur des élections présidentielles a été privé de sa victoire, pire, privé de liberté pendant 10 ans. Mme Aung San Suu Kyi sest contentée en silence dun prix Nobel de la paix, sans jamais exiger une quelconque intervention de lextérieur pour aller déloger les usurpateurs du pouvoir. La victoire de Mme Aung San Suu Kyi validée par la Cour Constitutionnelle Birmane est-elle moins importante que la défaite de M. Ouattara déclarée perdant par le Conseil Constitutionnel de son pays ?
M. Laurent Gbagbo entrera-t-il dans l’histoire comme un dirigeant médiocre, méchant, valeureux ouéclairé ? Nul ne pourra le dire. Ce que nous savons par contre, cest quil est lhomme qui symbolise le mieux les frustrations des Européens et des Africains. La crise Ivoirienne sest vite transformée en une crise raciale entre les Blancs et les Noirs, entre lAfrique et lEurope. Avec cette fois-ci un 3ème larron, la Chine en embuscade.
LAngola, premier partenaire africain de la Chine sur le plan commercial et militaire, soutient indéfectiblement Laurent Gbagbo
Le jour précis (17/12/2010) où lUnion Européenne annonçait avoir à lunanimité choisi le camp de Ouattara dans la crise ivoirienne, contre Laurent Gbagbo, la Chine nous annonçait être devenue le premier partenaire commercial du continent africain en publiant les chiffres de 10 mois déchanges avec les pays Africains. Il en ressort une augmentation du volume daffaires à 20 milliards de dollars avec lAngola faisant de ce pays son premier partenaire africain sur le plan commercial, mais aussi militaire.
Et le hasard veut justement que lAngola soit le pays qui soutient militairement les Forces de Défense et de Sécurité de Laurent Gbagbo en Cote dIvoire. Et cest ce même jour que le général Chinois de division Jia Xiaoning, directeur adjoint du bureau des affaires étrangères au ministère chinois de la Défense était reçu en audience au Cameroun par le Président Biya. Ont-ils parlé de la crise ivoirienne ? La Chine peut-elle aider financièrement lEurope pour sortir de la crise économique et accepter quelle utilise cet argent pour la combattre en Afrique ?
Ce qui est sûr, cest que cest un scénario que lEurope navait pas prévu. L’annonce la même semaine de l’entrée en service d’ici quelques années de lavion chasseur bombardier furtif chinois le Chengdu J-20 est-elle un simple hasard de calendrier ou un message militaire lancé aux USA et à lEurope ? Le message a été bien reçu à Washington, puisque le nouveau avion militaire furtif F-35 en préparation devant remplacer le F-22 est déjà jugé obsolète, et on parle déjà de labandon du projet avec des milliers demplois à risque, à cause de la nouvelle barre technologique très haute que la Chine vient dimposer à lindustrie de larmement américaine jusquici considérée comme la plus avancée du monde.
Selon les experts militaires américains, le J-20 chinois doté de gros missiles antinavires est spécialement conçu pour détruire les nouveaux 10 porte-avions américains en construction jusquen 2058. On comprend dès lors pourquoi le porte-avion français Mistral qui en ce moment fait route vers Abidjan pour déloger Gbagbo avant la fin du mois de janvier comme nous la promis Ouattara, serait détruit par le nouveau J-20 chinois en moins de 5 minutes. Pour linstant, la Chine ne tirera pas un seul coup dans la crise ivoirienne, mais il y a à parier que la prochaine crise sera très différente, car lhégémonie européenne qui dure depuis lan 1454 en Afrique vit ses dernières heures à Abidjan.
La crise ivoirienne qui nétait apparemment au départ quun simple démêlé entre Européens et Africains sest très vite révélée comme lanticipation de la bataille militaire Chine-Occident qui ne fait que commencer, sur le sol africain. Cest aussi le prélude dune longue saison tumultueuse entre lAfrique et lEurope qui peine à accepter linexorable autonomie effective de lAfrique, 50 ans après la parodie dindépendance. Les généraux de larmée chinoise sont en train de défiler un peu partout en Afrique pour tisser des accords de partenariat militaire ; à Pékin, on ne cache plus que le vrai but est de neutraliser toutes les rebellions que lEurope organisera sur le sol Africain pour les freiner et retarder cette autonomie.
L’arrivée de la Chine sur la scène politique, économique et militaire africaine est en train de se transformer en cauchemar pour lEurope qui en perd toute sa lucidité. Depuis 2007 lUnion Européenne a tout mobilisé pour proposer à la Chine une sorte de triangulaire pour stopper les gigantesques investissements de la Chine en Afrique. Lex-commissaire européen au développement Louis Michel a fait dincessants déplacements à Pékin pour faire mille propositions sans succès. LEurope nen démord pas pour autant, cest chacun des 27 qui essaie même en solo.
L’homme le plus recherché à Pékin et qui donne les maux de têtes aux occidentaux sappelle : Zhang Ming, le «Monsieur Afrique subsaharienne» du ministère chinois des Affaires étrangères. Tous le détestent et tous lui font la cour. Que lui veulent les Occidentaux ? Ils lui demandent ni plus ni moins que de faire semblant daider lAfrique, sans vraiment passer à laction. On lui explique que cest cela les règles du jeu depuis 5 siècles et quil y a très gros à gagner. Que répond-il ? NIET.
La Chine nest intéressée par aucune triangulaire. LAfrique quon disait marginalisée est remise par la Chine au centre des convoitises. Le président Chinois a visité presque tous les pays africains et certains, 3 ou 4 fois, lorsque les Présidents américains en 8 ans ne visitent que 2 ou 3 pays africains. Et sur les 27 pays de lUnion Européenne, 21 sont dirigés par des présidents qui nont jamais mis pied en Afrique.
LEurope est en train de tomber dans une médiocrité des plus grotesques tentant dembourgeoiser les Chinois en Afrique et de leur enseigner leurs vieilles recettes mesquines qui ont cloué au sol pendant 50 ans le décollage de lAfrique, avec des slogans tout aussi burlesques et minables : «L’Union européenne et la Chine se sentent plus près de l’Afrique que tout autre continent.»
Les rares documents que nous avons entre les mains des propositions secrètes européennes à la Chine justifient toute cette panique à bord par linquiétude des Européens vis à vis d’un probable surendettement de lAfrique si la Chine continuait sur cette lancée. Cette thèse est complètement saugrenue. Cest comme si un interdit bancaire allait voir son banquier pour lui expliquer quil ne dort pas depuis des semaines parce que son voisin risque de devenir surendetté si cette même banque continuait de lui donner des crédits, et le supplie de ne plus traiter directement avec ce voisin, mais de passer par lui afin quil filtre et suggère ce qui va bien pour son voisin. Récemment le FMI a refusé un crédit à la RDC au motif que le Congo reçoit des investissements chinois. Edwards Bernays dans son livre «Propagande ou lart de Manipuler lopinion publique en démocratie» nous enseigne que la manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique.
Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le monde. LUnion Africaine doit reprendre la main en Côte dIvoire pour que le gouvernement invisible de lEurope nentrave, ne déstabilise et nenlève pas à lAfrique une des pièces maîtresses du puzzle (la Côte dIvoire) dont elle aura besoin pour former et bâtir le mosaïque des Etats-Unis dAfrique. Si aujourdhui la Côte dIvoire est sacrifiée pour offrir à lEurope une consolation de répit dans sa guerre commerciale et industrielle perdue davance avec la Chine (comme le diktat chinois sur les terres rares), demain à qui le tour ?
La crise ivoirienne aura pour le moins, le mérite de nous donner plusieurs enseignements :
L’ONU est une boite vide qui nécessite une complète refonte. Cette organisation est en train de se transformer en instrument de déstabilisation des nations et linitiatrice des guerres civiles plutôt que dêtre un instrument de pacification des peuples comme elle a été originellement conçue.
La finalisation des Etats-Unis dAfrique est un impératif qui ne peut plus attendre. Tout le processus de la fédération africaine en cours doit être accéléré pour ne pas laisser lespace aux vieux démons de lAfrique de faire repartir un nouveau cycle de violences, de guerres et donc de déstabilisation du continent contribuant ainsi comme durant les 50 ans précédents à détourner lattention des vrais enjeux et des objectifs de création du bonheur pour les populations africaines.
L’entrainement pour la première guerre mondiale du 21ème siècle entre lOccident (Europe/USA) et la Chine se fera très probablement sur le sol africain. Le déclin des premiers ne les prive pas de linstinct darrogance habituelle pour continuer dhumilier la seconde en lui intimant ce quelle doit faire en Afrique, sur la dévaluation du Yuan. Le ridicule ne tue pas. Ce sont les pays qui se sont de trompés de politique et sont responsables dune crise financière mondiale, qui prétendent de donner des leçons à la Chine qui elle a été vertueuse dans sa gestion. Il y a une ligne rouge que tôt ou tard lOccident va traverser et ce jour là, cela va faire : boum ! Et cest pour ce boum que lAfrique sert aujourdhui à lun et à lautre de terrain dentrainement.
Gbagbo, enjeu du contrôle de lEldorado pétrolier du Golfe de Guinée
Il me plaît de conclure avec ces deux extraits de commentaires sur la crise ivoirienne:
1. «Les colonialistes ont toujours un masque. Ils ne disent jamais du bien de vous. Ils pillent vos ressources naturelles. Ils ont commis des génocides à légard des Indiens dAmérique, détruit des civilisations comme celle des Aztèques. Au nom de la liberté du commerce, ils ont imposé à la Chine trois guerres dopium. Au nom de l’esclavage, ils sont venus imposer le travail forcé en Afrique. Aujourdhui, cest au nom de la justice internationale quils interviennent en Cote dIvoire. Quelle est cette justice Internationale ? Les magistrats du Tribunal Pénal International sont atteints de ce quon appelle un daltonisme au noir. Le dalton ne voit pas certaines couleurs. Ils ne voient que le noir. Si vous allez à la Cour internationale, tous les inculpés sont noirs, pas parce quil ne sest rien passé à Gaza, pas parce quil ne sest rien passé à la prison dAbu Graïb. La question que je me pose maintenant est : Pourquoi lAfrique accepte-t-elle cela ? Je ne dis pas que tout le monde est innocent, mais si ces gens sont coupables, cest aux Africains de les juger. Pourquoi lAfrique accepte-t-elle que ses dirigeants soient jugés par une bande de cosmopolites qui la méprisent». Jacques Vergès, avocat français
2. «Derrière le maintien ou non de Gbagbo au pouvoir se joue le contrôle du Golfe de Guinée, cet Eldorado pétrolier que Français ou Américains, en perte de vitesse dans le monde arabe, et unis pour cette fois, ne souhaitent pas voir passer en dautres mains. A leurs yeux, Alassane Ouattara, ami personnel de Sarkozy, ancien directeur du FMI et gestionnaire libéral, représente un interlocuteur beaucoup plus crédible que Gbagbo le nationaliste». Colette Braeckman, journaliste au quotidien belge Le Soir. Née en 1946, grand reporter, elle collabore aussi au « Monde Diplomatique »
Voilà pourquoi à mon avis il n’y a jamais eu délection en Côte dIvoire, mais une parodie délection. Avec 300 milliards de francs des Ivoiriens que lOnu a jeté par la fenêtre pour un simulacre délection, on aurait pu construire 300 hôpitaux, 1.000 écoles, 50 Universités, 3.000 crèches, 5.000 dispensaires.
Par Jean-Paul Pougala, professeur à lUniversité de la Diplomatie de Genève en Suisse (co-auteur de «LAfrique, lEurope et la Démocratie Internationale» )