Envoyée spéciale. Aminata Traoré est ancienne ministre de la Culture et animatrice du Forum pour un autre Mali. Elle plaide pour des alternatives qui doivent investir le terrain économique.
Comment analysez-vous le profond désir de changement qui s’est exprimé lors de cette élection présidentielle ?
Aminata Traoré. Cet espoir de changement est à la mesure du choc ressenti par les Maliens et du sentiment d’humiliation face à l’occupation du nord, alors même que Kidal n’est toujours pas libéré. Mais il exprime aussi, on ne le dit pas suffisamment, le désarroi face à l’aggravation de la situation économique. Le cataclysme que nous avons vécu s’est inscrit dans un environnement marqué, fin 2011, début 2012, par des marches populaires contre la vie chère, la corruption, la spéculation foncière. Ces problèmes étaient sur la table. Ils ont été balayés d’un revers de main. Face au risque de voir le pays amputé des deux tiers de son territoire et par réflexe patriotique, les Maliens ont cru devoir mettre leurs revendications en sourdine. Il fallait à leurs yeux aller à l’essentiel, faire cesser les atrocités infligées à nos frères des trois régions du nord.
Comment expliquez-vous la cristallisation qui s’est produite autour de la candidature d’Ibrahim Boubacar Keïta ?
Aminata Traoré. Cela s’apparente à un plébiscite. Pour que cela soit intelligible à l’opinion publique occidentale, elle doit considérer que nous sommes dans le même bateau. Soumaïla Cissé, c’est pour nous le symbole, l’incarnation de la finance. Il en a été le ministre, il a dirigé l’Union économique et monétaire ouest-africaine, qui n’est rien d’autre qu’un instrument du système. L’étalage de moyens financiers colossaux, durant sa campagne, a cruellement contrasté avec le chômage massif et l’extrême pauvreté. Il est apparu comme le représentant du monde de l’argent.
Vous avez regretté, à la veille du premier tour, l’absence d’authentique débat politique…
Aminata Traoré. Si l’on avait donné aux Maliens la possibilité de mieux comprendre la mondialisation, ses crises et ses guerres, ils auraient été les premiers à exprimer un désir de changement sur le terrain économique. Nous voulons la liberté de choisir celui qui nous dirige, mais surtout la liberté de choisir un autre système économique que celui qui engendre le pillage, le bradage et la dévastation. Le Mali qui s’est écroulé, c’est le Mali bon élève du FMI, de la Banque mondiale et de l’Union européenne, avec leurs injonctions qui ont fait de l’État une coquille vide. Les ravages des politiques néolibérales sont les mêmes de Kayes à Kidal. Comment aller vers la réconciliation si nous continuons de cacher ces questions sous le sable ? Nous nous serions passés de « Serval » et de la militarisation si le système économique était au service du peuple malien. Il ne s’agit pas, désormais, de croiser les bras en attendant que ce changement vienne. Il faudra poser nos exigences, avec une force d’intervention, de proposition et d’anticipation. Cette force reste à construire.
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